Tambours - Téléphone
C’est fin septembre 1960 que j’ai croisé, au bac de la Lindi à quelques kilomètres de Stanleyville, cet homme éminent: John F. Carrington.
Je me rendais à Basoko, lui venait de la mission de Yalemba et se rendait à Stanleyville.
Il était là, vieillard chenu, mais toujours très représentatif et attendant que le bac se libère.
Le Révérend Carrington, qui avait vécu à la mission de la Baptist Missionary Society à Yakusu de 1938 à 1950, puis à la mission de Yalemba depuis 1951, était pour moi un homme célèbre.
Je l’ai courtoisement salué, mais, impressionné, je n’ai pas osé, dans mon anglais approximatif, engager une conversation.
Depuis longtemps, je connaissais ses activités:
Je ne pourrais dire s’il était un grand scientifique bardé de diplômes ou simplement un missionnaire passionné par la connaissance des populations au sein desquelles il vivait.
A son arrivée dans la région, il avait été frappé par le manque de possibilités de communications: pas de téléphones satellitaires, évidemment.
Il avait réuni à la mission de Yakusu, puis de Yalemba par la suite, des groupes de jeunes gens d’origine Lokele, puis ToPfoke, puis BaSoo auxquels il donnait non seulement des cours sur la connaissance de leurs dialectes respectifs, sur le vocabulaire, sur des règles grammaticales, en plus, il développait et enseignait à ces jeunes recrues, la technique de la transmission des informations par les tambours-téléphone, que nous, Européens, appelons communément le Tam-tam.
D’après Wikipédia, il y aurait eu environ 200 élèves dont seuls 10 % auraient acquis la technique de la transmission par tambours-téléphone: devenir des vrais batteurs de gong.
Les gens du gong
Toute l’Afrique au sud du Sahara vibre au son des tambours.
Nous avons vécu dans la région de Basoko-Isangi et je me permets de reprendre une nomenclature ethnologique dont je ne revendique aucunement la paternité.
Certains auteurs qualifient de “gens du gong” sur le haut fleuve Congo trois ethnies importantes: les Lokele, les ToPfoke et les Turumbu.
Issues d’un ancêtre commun possiblement mythique appelé Eondja-Ondja.
Il aurait donné naissance à trois lignées importantes toujours bien présentes sur le terrain:
1.- Le fils ainé “Wembe” :
Géniteur des YaWembe, plus connus sous le nom de Lokele, nom dont l’origine est parfois contestée.
Lokele viendrait du nom d’une moule d’eau douce qui peut servir de cuillère d’où serait issu, en lingala, le substantif “keli” qui veut effectivement dire cuillère.
En principe, les Lokele sont des gens d’eau qui vivent en famille regroupés dans plusieurs grandes pirogues, accolées les unes aux autres, que nous retrouvons entre Stanleyville et Bumba, parfois plus en aval encore.
Ces gens du voyage, riches de leur commerce, de leurs trafics et bien nourris par la générosité du fleuve sont très métissés du fait même de leur mobilité et des contacts qu’ils ont toujours eus et qu’ils ont toujours, non seulement avec les riverains du fleuve et des rivières affluentes, mais aussi avec quantité de voyageurs, dont les arabisés, qui depuis plus de cent cinquante ans fréquentent ou parcourent la région d’Isangi.
La mobilité de l’ethnie Wembe ne les a pas empêché de créer, le long des cours- d’eau qu’ils fréquentent, de très nombreux villages dans lesquels vivent non seulement de vrais YaWembe mais aussi quantité d’individus d’origines différentes tels que ToPfoke, BaMbole, BaSoo, YaNongo, MoNgandu etc..
Ils ont empruntés le mode de vie des Lokele et sont classés comme “Lokele d’origines diverses” , bref, des pseudo-Lokele.
2.- Le second fils d’Eondja-Ondja:
Eso, ou Ipoke aurait généré la puissante ethnie des ToPfoke.
Gens de terre qui se sont installés de part et d’autres de la rivière Lomami dans sa partie proche du confluent avec le fleuve Congo, ils se sont étendus loin vers l’ouest au-delà de la rivière Lokombe jusqu’à leur voisinage avec les MoNgandu.
Il s’agit d’une ethnie rustique, puissante, fortement et diversement tatouée, belliqueuse, dynamique, active et peu disciplinée.
Il y a eu longtemps divergence de vue entre eux et les YaWembe afin de savoir qui était l’aîné de la descendance d’Eondja-Ondja.
Cette palabre aurait été tranchée à la demande des intéressés en 1928 par l’Administration Coloniale établie à Isangi.
Elle aurait donné la primauté à Wembe.
Cette décision semble avoir été acceptée avec le temps, mais chez certains ToPfoke un doute subsiste toujours par le fait que les Wembe, pragmatiques, avaient d’excellentes relations avec l’autorité coloniale.
Par exemple: tout homme valide devait, à l’époque, fournir une certaine quantité de produits agricoles, accomplir certains travaux d’intérêt général, cultiver une certaine surface de cultures vivrières et/ou d’exportation.
Les Lokele en étaient exemptés et devaient assurer le transport fluvial du personnel et des marchandises de la colonie.
Cette promiscuité avec les autorités locales et les amitiés inévitables qui pouvaient en résulter ont parfois fait dire aux ToPfoke que le jugement de 1928 était douteux et pouvait manquer d’équité.
3.- Le troisième fils, Bolimo:
Aurait généré la lignée des Mboso, appelés aussi BoLimo ou Turumbu.
Ils se sont établis en majorité sur la rive droite du fleuve entre Yangambi en amont et la rive gauche de l’Aruwimi en aval, jusque Basoko.
Ils s’étendent loin au Nord jusqu’à la limite du territoire de Banalia.
Ce sont des gens de la forêt pacifiques, mais industrieux.
Ces trois ethnies, à tort ou à raison ont la réputation dans la région du moyen du haut Congo d’être des spécialistes de la transmission de messages par le biais du gong, des “tambours-téléphone”.
Nous avons vécu dans cette région durant treize ans et nous voulons bien croire en cette réalité.
Tôt le matin, dès le lever du soleil, jusque bien longtemps après le coucher de celui-ci, il ne se passe pas une heure sans que ne vibrent les appels de joie ou de tristesse portés par le son du Tam-tam.
L’harmonie de la communication verbale
Il y a, de par le monde, plusieurs centaines, voire des milliers de langues et de dialectes dont chacun a ses particularités propres.
Certaines langues sont chuintantes, tel le portugais ou le tshiluba, gutturales en ce qui concerne les langues germaniques, difficiles à saisir telles les langues nordiques ou slaves.
L’Italien est la langue de la joie et de la chanson, l’espagnol est pathétique, le français était la langue de la diplomatie, l’anglais est universel et est toujours celle de la technique.
Il y a aussi les langues d’origine asiatique qui, pour nous, occidentaux, demandent un effort particulier et beaucoup de bonne volonté pour être assimilées.
Il y a des langues qui s’écrivent de gauche à droite, d’autres de droite à gauche voire de haut en bas.
Il y en a qui s’écrivent sur base syllabique, telles les langues sémitiques ou alphabétique, celles que nous, occidentaux connaissons.
Sans être linguiste, la pratique de la langue des BaNgala, originaires des berges de la rivière Mongala, affluent de droite du moyen Congo, me permet d’apprécier la douceur et la fluidité des expressions usuelles appliquées par ces ethnies.
La langue des BaNgala, le lingala s’articule autour d’un noyau monosyllabique auquel s’ajoutent préfixes et suffixes, permettant de développer une grande richesse grammaticale tandis que le vocabulaire, surtout technique ( et c’est normal) est plutôt limité.
Le rôle de toute langue est de donner à des groupes d’individus la possibilité de communiquer entre eux suivant des codes, des habitudes, des règles convenues permettant la compréhension.
L’ordre impératif d’un policier qui vous demande vos papiers à un carrefour est, dans toutes les langues, assez peu encourageant.
Il en est de même lorsque l’on donne ou reçoit des instructions ou à la lecture d’un rapport technique ou juridique.
L’âme d’une langue se dévoile lors de discussions amicales, à bâtons rompus, entre amis, sereins, en paix avec leurs consciences et heureux de se rencontrer.
Dans la cuvette congolaise, lorsque sur le sentier entre le village et les champs vivriers deux amis se croisent, ils se saluent courtoisement et, sans trop s’attarder, continuent leurs chemins.
Le dialogue n’est cependant pas rompu, ils vont continuer durant une ou deux minutes, cheminant chacun de leur côté, à tenir une brève conversation.
Et cela donne à peu près ceci:
- O kenda wapi ôôôô ? en français: Où vas-tu ?
- Na kei kopesa mbote na maââma na ngai ôôô ! mpe na leki na ngai ôôô !
En français: je vais saluer ma mère ainsi que ma petite sœur.
- Kenda malamo ôôô ! En français: bonne route.
- Yo mpe otikala malamo ôôô ! En français: Toi même, bonne continuation.
Qu’importe si les détails du vocabulaire ne sont plus exactement saisis: la vibration, le rythme, l’harmonie de la phrase reste en suspension dans l’air et est toujours compréhensible pour les deux interlocuteurs.
Les langages de la cuvette centrale congolaise, au risque de me répéter, sont doux et harmonieux.
Ces gens ne parlent pas, ils chantent.
Du rythme de la parole au rythme de la percussion
C’est sur ce principe que la transmission par le gong ou tambour me semble basée.
Il y a dans chaque village, à proximité de la résidence du chef, un abri, sous lequel est installé le gong de transmission des nouvelles avec les villages voisins.
Ce gong peut-être de dimensions considérables.
Il est posé sur des rondins ou encore, suspendu par des lianes.
Il mesure parfois deux mètres de long et quatre-vingt centimètres de diamètre.
Il est constitué d’un tronc d’arbre évidé qui sert de caisse de résonnance avec une ouverture large de quatre à cinq centimètres par laquelle est passée toute la matière interne du tronc.
Les deux lèvres de cette ouverture sont d’épaisseur différente permettant ainsi lorsqu’ on les frappe d’émettre, l’une un son grave et l’autre un son aigu.
Le choix de l’arbre est important: il doit être résistant, souple, ne pas se fendre et facile à évider.
En général, il s’agirait d’un arbre de la famille botanique des sterculiacées, mais je ne voudrais pas trop m‘avancer sur ce détail.
Les maillets de frappe ont moins d’importance; souvent, pour éviter d’abîmer le tronc, ils sont entourés, bardés à une de leur extrémité, de bandes de caoutchouc naturel.
Ce caoutchouc donne à la frappe une tonalité plus douce, plus feutrée.
Il est évident que ces instruments de percussion n’ont pas, du point de vue harmonie, la même précision que les instruments de musiques modernes.
Variable suivant les dimensions du gong, l’âge du tronc au moment de l’abattage, sa structure, sa densité, il est quasi impossible d’avoir une homogénéité des sons émis dans la même région.
Chaque village a donc sa signature à travers le gong et il n’est pas nécessaire à un batteur averti de demander l’identité de son correspondant.
Dans les villages du haut fleuve qui ont gardé leurs traditions, deux personnages ne quittent jamais le village et ne risquent pas ainsi d’avoir un accident de chasse ou de pêche.
Il s’agit du griot, du “conteur“, un ancien qui, le soir à la veillée, devant une assemblée attentive et respectueuse enseigne l’histoire de la tribu, du village.
Vérités, anecdotes ou fantasmes, peu importe, les plus jeunes peuvent ainsi acquérir une mémoire ethnologique, apprendre l’histoire de la collectivité, les luttes, les guerres, les victoires et connaître les problèmes de terre qui ne sont pas rares.
Le second est le batteur de gong.
Il a acquis la technique et les secrets de la transmission de l’information.
Il connait tous les correspondants à dix ou douze kilomètres à la ronde et peut, à tout moment, entrer en contact avec eux.
Ils ne sont pas tous de même qualification, mais chaque village a son batteur de gong.
Ceux qui ont vécu comme nous dans la brousse profonde, se souviennent du son des tambours qui, tard dans la nuit, animent une fête ou une simple libation.
L’Afrique profonde palabre.
L’Afrique profonde chante.
L’Afrique profonde danse.
L’Afrique profonde ne s’ennuie jamais.
Ce n’est cependant pas de cela que je veux parler.
C’est tôt le matin, dès l’aurore, lorsque les tous premiers rayons du soleil s’efforcent de percer le reste des ténèbres de la nuit que cela commence.
L’air est déjà chaud, l’eau du fleuve est toujours froide et une brume de plusieurs dizaines de centimètres recouvre la masse liquide.
Des pêcheurs, déjà au travail, émergent de cette brume, silhouettes déformées par la réfraction et paraissant à la fois proches et lointaines, surdimensionnées, des géants de trois mètres de haut qui semblent comme autant de Jésus-Christ marcher sur les flots.
Peut-être en était-il et en est-il toujours de même sur le lac de Tibériade...
C’est à ce moment que le son est le plus porteur.
Et cela commence ainsi:
- Touk- Touk- Touk- : un batteur de gong est réveillé et s’enquiert des collègues des autres villages.
Et la réponse vient:
- Touk- Touk- Touk- Touk- Tik- Touk- Tik : grave aigu - grave aigu, qui se traduirait en lingala par noki - noki. En français: vite - vite.
Et l’autre de répondre:
- Touk- Touk- Touk- Touk- Touk- Tik-
Oh! Oh! Oh! Ma lem be
En français: Oh! Oh! Oh! Doucement (effectivement, aucune raison d’être pressé si tôt le matin).
Le dialogue peut commencer et d’autres intervenants se présentent rapidement.
Vous me direz que c’est assez peu précis comme technique de transmission et vous avez raison.
C’est là que tout le professionnalisme du batteur de gong entre en jeu.
Il essaye de transmettre à ses élèves du village la technique de la transmission par la modulation précise du rythme de percussion, ainsi que par la recherche de périphrases pour autant que faire se peut éviter toute ambigüité.
Je voudrais citer deux exemples:
- En français: Les enfants sont partis en classe, ,ils sont partis étudier.
Ce qui donne en lingala :
Ba na ba keï na cla ssi, ba keï ko te ya
Touk- Touk- Touk- Tik- Touk- Touk- Tik- Touk- Tik- Touk- Touk- Tik
La transmission est ainsi faite par une succession de sons graves et aigus.
- Un autre exemple qui ne m’est pas personnel, mais que j’avais trouvé, il y a
cinquante ans, dans une brochure spécialisée.
C’est un exemple en langue française, ce qui est plutôt inadéquat mais explicite
quand même.
“ Il é tait a ssis là “ ce qui pourrait donner par la magie du gong:
Tik- Touk- Tik- Touk- Tik- Touk-
Si on veut insister sur le fait qu’il était assis ( et non pas debout), on double le
rythme de la percussion sur les deux syllabes de “assis”.
Ce qui donne:
“ Il é tait a ssis là”
Tik- Touk- Tik- (Touk-Touk-) (Tik-Tik-) Touk-
Si l’on veut insister sur le fait que c’était “là” qu’il était assis et non pas autre
part, on double la dernière voyelle.
“ Il é tait a ssis là” ce qui se traduit par:
Tik- Touk- Tik- Touk- Tik- (Touk-Touk-)
On voit de cette manière qu’un bon batteur de gong est capable de moduler ses phrases avec beaucoup de précisions.
Généralement, dans les villages, le chant des gongs est compréhensible par tous les adultes et même les adolescents.
Peu d’entre eux, cependant, sont capables d’émettre valablement et les maîtres sont rares.
Dans la région d’Isangi, les enseignants savent qu’ils doivent exiger le silence le plus absolu lors des examens ou des interrogations écrites car il n’est pas rare d’entendre un léger pépiement, modulé entre la langue et les incisives et qui donne aux amis la réponse aux questions posées.
Certains maîtres de gong, hautement qualifiés, communiquent parfois en utilisant qu’une seule lèvre du gong.
Le rythme et l’harmonie de la frappe suffisent à diffuser l’information.
C’est de la haute technique.. de l’art.
Nous l’avons dit: la portée du son est variable et le contact régulier se fait entre villages distants de 5 à 12 kilomètres, mais parfois beaucoup plus loin suivant les conditions atmosphériques.
Evidemment plus la distance augmente, moins il y a de précisions et plus il y a d’erreurs.
Mais qui suis-je pour vous expliquer tout cela ?
Toute l’Afrique centrale, non seulement dans la cuvette, mais bien au-delà, vibre au son des tambours, transmet des informations par le Tam-tam.
Ne dit-on pas qu’en 1901, la nouvelle de la mort de la reine Victoria était arrivée à Nyangwe sur le Lualaba trois mois avant la dépêche officielle ?
Mon épouse et moi-même avons vécu durant treize ans dans une région où les tambours étaient omniprésents.
Cela nous a questionné, nous nous sommes interrogés, nous nous sommes renseignés, on nous a expliqué maintes et maintes fois, mais je dois vous avouer que nous n’y avons jamais rien compris...
Pour pénétrer le sujet, il aurait fallu que nous puissions étudier et pratiquer au moins un ou deux dialectes locaux.
Puis, ensuite, entreprendre l’étude du langage des gongs.
Nous avons consacré nos loisirs à l’étude de la répartition géographique des ethnies locales, de leurs migrations et de leurs généalogies.
Et puis, il faut bien le dire, la raison principale de notre présence en Afrique Centrale était la gestion d’une plantation de plusieurs milliers d’hectares de palmiers à huile, ce qui laissait peu de temps aux études ethnologiques.
On ne pouvait être à la fois au four et au moulin.
Je vous disais que nous n’y avions pas compris grand’ chose, le Révérend Carrington, lui, semble avoir compris.. enfin.. peut-être !
Le lilois
Comment être certain de l’orthographe de ce moyen de transmission et même de sa prononciation ?
J’ai pris l’initiative de la transcription suite à ce que j’ai cru comprendre des explications qui me furent données en 1962.
Nous, qui avons vécu en Afrique Centrale, nous avons parfois été invité à des fêtes villageoises.
Assis sur les quelques chaises disponibles de la collectivité et qui nous étaient réservées par respect aux invités VIP, nous admirions un groupe de jeunes demoiselles à peine pubères, habillées de simples jupettes en raphia, le corps couvert de “ngola” (poudre rouge de l’arbre ptérocarpus soyauxii) et les cheveux soigneusement tressés et enduits d’huile de palme.
Leurs pieds frappent le sol en cadence et quelques pièces métalliques fixées à leurs chevilles donnent le rythme de la danse.
Certaines d’entre-elles ont, fixé sur les reins, un petit panier en roseaux, d’une vingtaine de centimètres de longueur, peut-être un peu plus, contenant des graines sèches ou des coquilles de cauris.
Au rythme de leurs pas, la percussion est ainsi harmonieusement accentuée..
Tchic.. Tchic.. Tchic..
Certaines d’entre-elles tiennent le petit panier entre leurs mains et l’agite suivant un rythme connu d’elles.. et des spectateurs, sauf de nous, évidemment.
La foule, parfois, est prise d’un rire contagieux, incompréhensible pour nous, béotiens à la peau blanche.
C’est qu’une de ces demoiselles, à l’esprit frondeur, a gentiment brocardé un des visiteurs au regard parfois allumé.
Elle a transmis à ses parents et amis ses impressions au travers du rythme des cauris.
Qui parmi nous, naïfs invités, aurait pu croire qu’une transmission d’informations, de sentiments, de joie, puisse se faire d’une manière aussi simple.
Enfin.. simple.. tout cela est relatif.
C’est léger, aérien, doux à l’oreille sans malice mais absolument imperméable à notre esprit rationnel.
Conclusion
Il n’y a rien de plus trompeur
qu’une évidence !
(Conan Doyle - Sherlock Holmes)
Nous, Belges, sommes restés en Afrique Centrale durant quatre-vingt ans.
Nous avons, en collaboration avec les populations autochtones pacifié, exploré, inventorié, créé, développé les structures telles que les routes, les aéroports, les hôpitaux, les chemins de fer, les ports, les cités administratives.. etc.
Nous avons établi des plantations, implanté des écoles, une structure médicale dense, des industries minières et manufacturières.
Nous avons organisé le transport et des communications toujours à la pointe du modernisme.
Moins rentable immédiatement, mais tout aussi important, nous avons essayé de comprendre nos interlocuteurs africains, leur mode de vie, leur approche de la nature, leur philosophie.
Je ne saurais terminer cette conclusion sans citer le livre du Révérend Père Placide Tempels (S.J.) (1906 - 1977) “La philosophie Bantoue “ (collection Présence Africaine 1949) qui a suscité chez les jeunes Européens tant de vocations africaines malgré les critiques de Monseigneur Félix de Hemptinne (Bénédictin) - (1876 - 1958) un autre grand connaisseur de la mentalité bantoue.
Avec le recul des décennies, nous devons hélas, constater que nous n’avons fait que gratter, bien superficiellement, la réalité des choses.
Combien de personnes, de cellules de recherches, actuellement dans le monde s’intéressent- elles encore à la transmission de messages par le gong ?
Quelques dizaines ? Quelques centaines ?
Je me réfère ici à la découverte de l’os d’Ishango: quelques stries, quelques pointillés nous permettent de supposer une civilisation, une connaissance, que nous, au XXI ° siècle, à l’aune de nos connaissances, supposons bien plus profonde qu’ envisagée.
Tous ces mystères, ces énigmes remontant dans l’histoire à des siècles, voire des millénaires, s’estompent dans la brume du temps passé.
Lorsque l’intérêt de la connaissance s’estompe, en linguistique dialectale, en ethnologie, ou plus techniquement dans le nucléaire, la recherche n’est plus attractive pour les scientifiques et finit par tomber parfois totalement dans l‘oubli.
Au loin, là bas, à l’horizon, au dessus du brouillard du temps, quelques pics devinés, neigeux, se fondant dans la couleur des siècles lointains, émergent et nous rappellent qu’avant nous, d’autres civilisations, d’autres approches profondes ont existé et auxquelles nous n’auront jamais accès.
Qu’importe actuellement la transmission par le gong à l’ère du téléphone portable, de la télévision en mondovision, de l’informatique et de l’ Ipad !
L’histoire, nous dit-on, repasse parfois les plats, mais ils ne sont jamais ceux d’origine: leur saveur est altérée par la modernité, les données de l’équation ont tellement changé et quoique l’on fasse, la réalité, la vérité des choses du passé ne pourront jamais être exactement retrouvée.
Qu’en est-il des saveurs d’antan ?
Nous devons essayer de retrouver les vieilles recettes de nos ancêtres; de nos aïeux, mais pas nécessairement revivre leurs expériences, car les saveurs de leur époques étaient parfois amères.. très amères.
E.A.Christiane
Bénissa, le 06.03.2012