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5 mai 2010 3 05 /05 /mai /2010 09:24



Les Ngbandi de la Ngiri - Territoire de Kungu et de Budjala

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Lorsque, planteur isolé de ses contemporains européens, on veut éviter autant que possible de sombrer dans l’ennui, générateur de trop de vices connus, que faire d’autre que de s’intéresser à ce qui nous entoure, à nos collaborateurs congolais pour commencer.
Les présentes notes ont été prises durant de nombreuses années aux contacts de griots, de chefs coutumiers, de missionnaires et de certains de nos travailleurs.
Elles n’ont aucune valeur scientifique et ne sont que le fruit d’un agréable passe-temps, d’un hobby.



Un sympathique présent

            Il y a environ deux semaines, une amie passionnée comme moi de l’histoire des découvertes de l’Afrique Centrale me fit cadeau d’une reproduction du second tome de 
            “Au cœur de l’Afrique” - 1868 - 1874 -

- “Voyages et découvertes dans les régions inexplorées de l’Afrique Centrale par le Docteur Georg August Schweinfurth - publié chez Hachette et Cie en 1875“ -
            Merci encore Marisha.

Qui était Georg August Schweinfurth


            Ce botaniste de formation, mais ayant bien d’autres cordes  (ethnologue, linguiste, géologue, explorateur...) à son arc, né à Riga en Lettonie le 29 décembre 1826 et décédé à Berlin le 19 septembre 1925 a parcouru l’Afrique de 1863 à 1894.
            Parti de Khartoum, au Soudan, il a pénétré dans ce qui est actuellement la Province Orientale de la République du Congo et a parcouru le pays des Niam-Niam, appelés aujourd’hui Zandés et des Mombouttous, appelés aujourd’hui Mangbetu.
            Cela lui a permis, le 19 mars 1870 de découvrir le Wele, Ouele aujourd’hui appelé Uélé, qu’il croyait être une rivière alimentant le lac Tchad.

Les armes des jeunes soudanais

            Mais ce n’est pas la vie de Georg Schweinfurth qui m’interpelle aujourd’hui, c’est, dans son livre, en page 8, des dessins d’armes des hommes de la tribu des Zandé.
            Les couteaux et les sabres de fabrication indigène représentés sur cette planche  sont de même facture que ceux qui sont actuellement traditionnels des Ngbaka et les Ngbandi de la région de Gemena-Libenge.
            Quant aux couteaux de lancer, ce que l’on appelle troumbache, ce sont typiquement des armes habituelles en 1975 encore aux mains des Ngbaka de Gemena, Karawa, Bominenge, Libenge etc..
            Les petits coutelas à manche en forme de deux demi-cônes inversés sont toujours bien d’actualité dans ces régions et la majorité des hommes des villages en portent toujours un sur eux; ils sont tellement commun qu’ils l’ont surnommé mon “bic rouge”.
            Les machettes recourbées dans le sens du plat de la lame, moins courantes se retrouvent dans tout le Nord-Oubangui.
            Quant aux troumbaches, ils sont très répandus chez les Bwaka, beaucoup moins chez les Nbandi de la Ngiri que je connais mieux.
            Ce sont des sortes de serpettes de la même dimension que celles que nous connaissions dans nos campagnes mais qui en plus de la lame principale représentent deux excroissances de quatre à cinq centimètres, prolongement de la lame, effilées, lancéolées et qui font de cette troumbache une arme redoutable.
            Originellement un couteau de lancer, destiné a atteindre les jambes de l’ennemi qui vous attaque, elles sont aussi utilisées comme une arme “de poing”.
           
            Tout jeune planteur, j’ai une nuit été réveillé parce qu’il y avait une bagarre dans le camps des travailleurs “avec un blessé très grave”.
            M’étant levé, m’y suis rendu et devant une maison la foule était agglutinée.
            Je suis entré, la pièce était faiblement éclairée par une lampe tempête, et je distingue sur un lit, un travailleur de la plantation au milieu d’une flaque de sang, avec une vilaine, très vilaine blessure à la partie postérieure de la cuisse droite.
            Je me précipite, lui soulève la tête, il me voit, me regarde, me saisit le bras, ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais il meurt instantanément, exsangue.
            Pour une dette de cinq francs congolais, deux joueurs de cartes se sont querellés, l’un a pris son couteau de lancer et a porté un coup à son copain.
            Le couteau est entré très facilement dans la cuisse et en se retirant a arraché un morceau de muscle qui pendait et aussi sectionné l’artère fémorale.
            Nous étions au début du second trimestre de 1955, je venais d’avoir 21 ans et c’était le premier cadavre que je voyais.
            Depuis lors, j’ai vu beaucoup d’autres accidents de ce genre, mais la blessure était plus normalement située au niveau du triceps gauche qui était régulièrement arraché.         

Flux migratoire Nord-Sud

            Dans les textes que nous avons publié sur notre blog, toutes les ethnies de la région du Haut Congo (Mbango, Mbesa, Ngando, Olombo, Mboso, Wembe, Topfoke, Ngandu...) et jusque la rivière Oubangui, a part peut être les Mongo dont l‘origine est parfois controversée, sont venues de la rive droite du fleuve Congo.
            Sous la poussée démographique, chassés par la sahélisation au niveau du tropique du Cancer, ils se sont mis en marche et sont arrivés dans la partie Nord de l’actuelle République du Congo.
            Ils sont ainsi appelés les “jeunes soudanais”.

            Durant leur migration, dans le Darfour, au Soudan, puis dans la partie Est de la République Centre Africaine, ils avaient suivi la savane parallèlement aux rivières qui coulaient quasiment toutes suivant un axe Sud-Nord, dans la prolongation du graben et de la vallée du Nil.
            A partir du moment où ils ont rencontrés le sillon Bomu-Kibali, Uélé, Oubangui, les rivières coulaient, du moins dans la plus grande partie de leur cours, d’Est en Ouest, puis du Nord-est vers le Sud-ouest, il fallait donc, si on désirait continuer vers le Sud, soit les traverser, ce qui était impératif en arrivant au fleuve Congo, soit suivre la savane puis la forêt entre deux rivières pour arriver finalement au fleuve Congo.

Uélé - Flux migratoire Est-Ouest

            Quoi de plus normal dès lors que certaines ethnies aient suivi les rivières en direction générale de l’Ouest ?
            C’est ainsi, que les Bwaka, puis les Ngbandi ont suivi, dans leur migration, l’Uélé, puis l’Oubangui.
            Remarquez que cela ne s’est pas fait d’une manière aussi régulière ni aussi pacifique, il y a eu des rencontres indésirables, des conflits, des retours en arrière etc.., Mais la progression générale s’est faite dans le sens de peuplement vers des endroits de plus faible densité de populations ou de populations moins organisées pour résister aux envahisseurs.
            Dans l’Oubangui, nous trouvons actuellement une majorité de Bwaka, entre autre dans les territoires de Gemena, de Libenge et de Bosobolo, mais nous y trouvons aussi quantité de villages Mbanza, qui seraient installés antérieurement à l’arrivée des Bwaka mais qui les auraient acceptés, l’invasion se serait donc faite d’une manière relativement pacifique.
            Pour en revenir aux Ngbandi, une partie de ceux-ci se seraient fixés dans la courbe de l’Oubangui, lorsque celui-ci s’incurve nettement vers le Sud, dans le Territoire de Yakoma, ils auraient constitués ce que l’on appelle les Ngbandi ya Likolo, ceux du haut dont le Président Mobutu est le plus célèbre de ses représentants.
            Une autre partie aurait continué, descendant l’Oubangui et se fixant à la limite des marais de la Ngiri, dans les actuels Territoires de Kungu et Budjala. 

Les marais de la Ngiri

            Etrange endroit que ces marais de la Ngiri, en pleine cuvette congolaise, mais dans la partie Nord Ouest, ils font donc géologiquement partie de la couche dite de la Busira, dernière couche alluviale datant du quaternaire et correspondant à ce qui fut le dernier lac de la Cuvette centrale, juste avant la vidange par la faille du Bas-Congo.
            Cette couche de la Busira s’étend d’un seul tenant mais de forme irrégulière approximativement du second degré latitude Nord au troisième degré trente minutes latitude Sud et du seizième au vingt-quatrième degré longitude Est.
            Son centre géographique décalé vers l’Ouest et aux environs de Coquilathville (actuellement Mbandaka), situé exactement sur l’Equateur.
            Les marais de la Ngiri commencent juste au bord nord-ouest de cette couche de la Busira, et s’appuie sur le bourrelet Nord de la dite couche sur ce que l’on appelle en Géologie la couche du Lualaba-Lubilash.
            Limite de la cuvette congolaise, la couche dite du Lualaba Lubilash est stable, composée de terre superficielle de type Kalahari quoique elle-même issue d’un ancien lac.

Les habitants

            La Ngiri, terre ancestrale des Ngbandi, dit aussi Mogwandi, Ngbwandi ou BaNgbwandi est donc située à la fois en territoire de Kungu et en Territoire de Budjala et offre l’avantage de mettre à la disposition de ses occupants un sol riche convenant à la culture d’aliments à base d’hydrates de carbone et un marais très vivant permettant la pèche, et aussi la chasse promettant des protéines en grande  quantité (crocodiles, poissons, serpents, buffles, éléphants, antilopes etc..).
            Un seul problème, mais il est sérieux, ces gens, les Ngbandi de la Ngiri, souffrent plus que normalement d’un manque d’iode, pas ou peu de contacts avec des commerçants, vivant sur le pays, ils ont des problèmes de sel, et spécialement de sel marin et des idiots (Agagigi dans la langue Ngbandi), microcéphales existent dans presque tous les villages.
            Aussi, il est du devoir d’un chef de plantation de veiller à ce que l’approvisionnement des magasins de traite en sel se fasse avec du sel marin, venant souvent des salines de Namibie, afin de pallier à ce manque d’iode.
            Du point de vue économique, elle profite de la rivière Mongala, de la route de Gemena vers Libenge et Mbangi mais s’il y a de nombreux colons, de nombreuses petites exploitations agricoles, de nombreuses missions, mais en fait de grandes plantations, en Territoire de Budjala, nous n’avons qu’une plantation importante d’hévéas du groupe Lever (situation de 1980) bien organisée et qui a vu naître Pierre Kroll, dessinateur humoriste bien connu.

La rivière Ngiri
 
            La rivière Ngiri prend sa source dans ces marais dans les environs de Kungu où elle porte le nom de Lua-Ngiri, elle traverse cette région marécageuse sur environ 350 à 380 kilomètres sans que son cours ne soit stable, formant tantôt des iles, s’étendant en d’innombrables bras éphémères, créant des lacs viables quelques années, elle est l’axe de drainage de cette immense région ayant plus ou moins la forme d’un triangle dont la base (au Nord) aurait 300 kilomètres et le hauteur 375 kilomètres, soit certainement 55.000 kilomètres carrés.
            Elle se jette dans l’Oubangui aux alentours de  zéro degré  et 25 minutes Nord.
            Une partie de ces marais dont nous ne tiendrons pas compte se prolonge très loin à l’Ouest en territoire  de la République du Congo Brazzaville.
            En théorie, il y a moyen de passer, en prospectant les très nombreux chenaux de cette région, de la région de Nouvelle-Anvers (actuellement Makanza) sur le fleuve Congo à la rivière Oubangui, dans la région de Dongo sans faire le long détour par la pointe Sud en aval de Coquilathville , l’explorateur George Grenfell, missionnaire de la Baptist Missionnary Society décédé en 1884 et enterré à Basoko l’aurait fait, mais ce passage est très aléatoire et ne saurait actuellement être défini comme certain qu’après une reconnaissance aérienne.
           
Le territoire des Ngbandi

            Les Ngbandi n’occupent pas tout ce territoire, loin de là, on les trouvent à l’Ouest de la Mongala au Sud de la route Akula (sur la rivière Mongala), Budjala, Kungu, Djambi et Dongo, sur l’Oubangui.
            La limite Ouest serait l’Oubangui, quoique la partie entre la Lua-Ngiri et l’Oubangui soit très peu peuplée, tandis que la limite sud de leur occupation est assez floue étant donné que nous avons peu de points de repère et quasiment pas de population; il n’est pas assuré qu’ils dépassent la limite du Territoire de Budjala au Nord de Mobeka et jusqu’a la Ngiri.
            Je ne peux cependant être certain de mes affirmations quant à l’occupation de cette région particulièrement austère, peu accessible et très inhospitalière.

Une grande différence

            J’ai travaillé avec les Ngbandi de 1955 à 1958 puis de 1979 à 1991, et j’ai eu de très bons contacts avec eux.
            J’ai aussi travaillé avec des Bwaka de 1955 à 1960, puis de 1973 à 1980.
            Ces deux ethnies, nous l’avons dit sont classées parmi les jeunes soudanais,  un même origine ethnique mais une très grande différence de constitution.
            Les Bwaka sont des travailleurs courageux, bien constitués, d’un caractère entier, une énergie et une résistance à toute épreuve, de complexité très foncée, tatoués, près du terroir, naturels, souriants, spontanés et heureux de vivre.
            Les Ngbandi sont différents, plus minces, élancés, le nez fin, l’arc des sourcils régulier, de longues mains, clairs de peau, leurs filles sont très jolies.
            C’est une chose qui frappe et qui questionne, comment deux ethnies proches, peuvent-elles être aussi différentes?
 
Légende ou énigme ?

            C’est une question qui se pose lorsque l’on travaille avec les deux ethnies et, évidement, je me la suis posée, en 1957 d’abord, puis en 1980 ensuite.
           
            Et j’ai questionné: “ Pourquoi avez-vous la peau si claire ?
            Les Ngbandi ya Likolo (ceux de Yakoma) ainsi que les Bwaka habitent des contrées de grand passage entre le moyen et le Haut Congo et le Moyen Oubangui (République Centre-Africaine - et sa capitale Bangi), tandis que les Ngbandi de la Ngiri sont protégés  et l’ont toujours été, relativement, des chasseurs d’esclaves par exemple.
            Entre terre et eau, ils avaient une nourriture équilibrée, nous l’avons vu, c’est un avantage mais aussi, en cas de danger, ils pouvaient  se réfugier, en pirogue dans ces marais inextricables dont ils connaissaient les passages discrets et éviter leurs ennemis.
            Les possibilités de métissage étaient donc plus limitées et cependant, ils sont nettement plus clairs de peau que les ethnies avoisinantes.
            A vingt ans d’intervalle, j’ai reçu la même réponse:
“Ils sont venus du ciel ! “

            Ah ! Et qui donc ?
“Des blancs et sont restés chez nous longtemps, jusqu’à leur mort”.
            Le fait qu’ils aient pu venir du ciel ne m’impressionnait guère, si la terre peut être domestiquée pour nous nourrir ou recevoir notre dépouille en remerciement, le ciel, l’eau et le feu, (air-eau-feu) sont trois éléments dont on n’est pas maitre et peuvent donc être générateurs de phénomènes inexplicables.
            Souvenez-vous, les mulelistes prétendaient qu’ils recevaient des armes et des munitions des eaux du lac Tanganyika, ce en quoi ils n’avaient pas nécessairement tort lorsque l’on suppose que certaines ambassades asiatiques de Bujumbura étaient peut-être des fournisseurs potentiels.
            Mais quand même, l’apparition brusque de blancs, dans  une ethnie saine et particulièrement protégée  avait de quoi m’interpeller.

            Mais ce qui va suivre est plus étrange encore.
“ Ensuite, quelques années plus tard, ils sont revenus pour racheter les enfants qu’avaient engendrés ceux qui étaient restés chez nous”.
“Nous n’avons pas voulu et nous nous sommes battus, nous les avons chassé et ils sont partis avec (ou sans)  leurs cadeaux qu’ils avaient destinés au rachat de leurs enfants”.

            Ma réaction fut claire et me semblait logique, je leur ai dit que je pensais qu’il y avait eu un visiteur à peau blanche, un homme qui aurait eu beaucoup de succès vu la tendance à l’exogamie de la population Ngbandi et qui aurait laissé des traces de son passage dans la génétique du groupe.
“ Non ! Me fut-il répondu ceux qu’ils ont laissé étaient des femmes ! ! “
“Elles ont fait des enfants avec nos ancêtres hommes”.
            Alors là, j’en suis resté pantois.
            Que pouvais-je répondre ?

            J’ai demandé quand cela s’était passé. Et après moult calculs, souvenances et cogitations, il m’a été dit, en 1957 que 7 générations avant celle-ci il y avait des gens qui les avaient vu dans leurs villages.
            Vingt ans après, le même calcul m’indiquait 8 générations.
            Cela situerait le phénomène entre 1750 et 1800 suivant l’âge des “importées” à l’époque où on les avait vues.

            Nous nous trouvions dans une période où des pirates sévissaient en Méditerranée ou il n’était pas rare que des captives de race blanche tombaient dans leurs filets, les plus belles, les Caucasiennes étaient vendues pour les harems orientaux, que faisait-on des autres.
            Une tentative d’élevage en ayant choisi les mâles parmi une peuplade saine, bien nourrie et à l’abri des prédateurs négriers ?
            Peut-être mais cela n’est qu’une supposition.

            Quoi qu’il en soit, une légende existe, une explication disons “traditionnelle” subsiste, est-elle fondée, c’est-il passé quelques évènements qui nous échappent, très certainement, mais lesquels ?
            Encore une énigme de l’Afrique mystérieuse.


                                                                   Rédigé à Anderlecht le 04.05.2010


                                                                                   E.A. Christiane




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