Péons et monarchie
Les contacts par internet, les aller-retour de petites phrases de répliques entre amis sont toujours très amusants, ils permettent de garder l’esprit éveillé, rapide, réactif, un excellent exercice d’improvisation, un peu de gymnastique intellectuelle du meilleur effet.
Cette alternance de sérieux et de badinage, ce mélange de salé et de sucré est porté à un certain degré bien agréable et est une excellente thérapeutique pour garder notre intellect en éveil, stimulé.
Mais il y a des moments où il faut voir d’autres choses, plus sérieuses, moins légères,plus austères aussi, qui doivent être dites, partagées, et approfondies.
Le péon n’est pas seulement sud-américain
Le péon, nous dit le dictionnaire, est un pauvre ouvrier agricole de l’Amérique du Sud.
A mes yeux, le péon est sous la férule d’un ou de maîtres qui le gardent dans un état d’individu, de citoyen de seconde zone, voire parfois proche de l’esclavage économique.
Il n’est pas le seul, les colonisés, les serfs, les métayers dans l’Ancien Régime, avant la Révolution française, étaient eux aussi des prolétaires sans guère de pouvoir.
Et quand je parle d’individus de seconde zone, ce n’est pas physiquement ni intellectuellement, c’est dans leur état, ils sont dominés juridiquement, ils dépendent pour boire, pour manger, pour se vêtir, pour se loger, pour travailler de quelqu’un qui a une certaine autorité sur leur mode de vie.
Ils ont une valeur humaine, bien sûr, mais avant tout, aux yeux de ceux qui les emploient, qui trop souvent les exploitent, ils ont surtout une valeur marchande.
On peut parler, et cela ne va certainement pas plaire à tout le monde, du colonisé, il était sous l’autorité d’une caste qui veillait à son bien-être en général, qui veillait à le faire évoluer dans une société qu’il ignorait et dans laquelle il devait s’intégrer; en contrepartie, il devait, par son travail, participer à l’essor économique de son terroir aux profits, pas toujours et même rarement équitablement partagés, du colonisateur et du colonisé.
Pensez à ce que seraient actuellement les peuples africains, asiatiques, si nous les avions laissés dans l’oubli du contact avec l’Europe de l’Ouest.
On serait peut-être étonné de la manière, dans quelle direction ils auraient évolué, mais compte tenu des deux découvertes ethniques de ces derniers mois, en Amérique du Sud, aux confins de l’Amazone et de l’Orénoque ainsi qu’en Indonésie, on peut considérer qu’ils auraient eu plus de chance d’avoir évolué dans un contexte de petites unités politiques, d’entités isolées, réduites, autant de micro-ethnies tenues depuis des siècles, voire depuis des millénaires dans l’ignorance de ce qui était au-delà de leur horizon.
Rien à voir avec ce que nous, Européens de l’Ouest étions il y a quatre ou cinq cents ans.
Un appendice fécond
Nous avons l’avantage de vivre dans un appendice géographique, prolongement de l’énorme continent asiatique, avec une façade maritime, ouvert sur l’extérieur, qui nous a permis de nous épanouir, de voyager dans le vaste monde.
Je ne sais qui a dit, mais ce n’est pas moi, que le pays qui a accès à la mer, n’a pas de frontières, c’est tellement vrai.
Un pays comme la Russie, qui a accès à des mers peu fiables, la mer Baltique, sans guère de profondeur et contrôlée géographiquement par le Danemark, les mers du Nord, Blanche, de Barents, de Kara, de Laptev, de Sibérie, bien trop souvent gelées, à l’Est, la mer d’Okhotsk tellement lointaine, a toujours essayé d’avoir une ouverture vers les mers du Sud, plus accessibles, la mer Noire, et même le golfe Persique afin de briser le carcan terrestre qui était un frein à son expansion.
Les États-Unis d’Amérique, ouverts sur deux océans mais sans contacts entre eux, devaient entretenir deux flottes de guerre, deux flottes d’expansion et n’ont eu de cesse que d’ouvrir le canal de Panama qui raccourcissait les distances entre ses deux pôles de développement.
Plus près de nous, chez nous, nous avons assisté au développement combien différent de nos contrées européennes, et principalement des régions de l’Europe de l’Ouest.
La frontière ethnique, linguistique qui divise notre continent d’est en ouest, de Dunkerque à Trieste est une chose, mais il y en a une autre tout aussi importante, une démarcation nord-sud, qui divise les pays ayant une façade sur la mer et ceux plus continentaux, enfermés ou quasiment enfermés dans une gangue géographique de laquelle ils essayent, ils ont toujours essayé de se libérer.
Longtemps cette frontière se confondait avec un grand fleuve, le Rhin, puis, avec le développement des moyens de communication, leur modernisation, la limite s’est déplacée vers l’est, de Cologne à Hambourg sur l’Elbe à l’ouest du Danemark.
L’économie, la mentalité, la manière de vivre des peuples de chaque côté de cette ligne est parfois assez différente, lorsque l’on voyage, on sent que l’on passe des « gens de mer » aux « gens de terre ».
Il en est de même en Afrique centrale, il y a une différence de vie et de mentalité entre les ethnies vivant sur l’eau et celles vivant en forêt ou en savane aride.
Nous qui sommes nés à l’extrémité ouest de l’Eurasie, nous sommes des gens qui ont vue sur la mer, nous avons su en profiter, nous avons aussi subi de par notre position géographique toutes les avanies des invasions de toutes sortes, de toutes origines, de toutes influences; nous avons subi un énorme mixage de gènes étrangers et sommes de ce fait d’une grande variété génétique.
Cela nous a ainsi permis d’emprunter à nos envahisseurs, puis aux civilisations sumériennes, chinoises, portées par les diasporas juives et les voyageurs arabes, grecs et romains, non seulement les idées, les idéologies, les techniques, les philosophies que notre personnalité métissée nous a fait si pas nécessairement accepter, comprendre et assimiler.
Nous en avons profité, nous les avons acceptées tant bien que mal, nous les avons véhiculées de continents à continents, à travers mers et océans, nous les avons fait accoster à d’énormes glacis terrestres, des blocs compacts tels l’Afrique, l’Asie ou les Amériques.
Quoique l’on puisse dire, notre position géographique entre Atlantique et Méditerranée nous a permis, grâce à un climat particulièrement généreux et à une mixité intellectuelle et raciale, de développer ce qu’est devenue actuellement la civilisation judéo-islamo-chrétienne.
C’est cette civilisation, fruit de deux mille ans d’évolution, qui par son dynamisme domine non seulement politiquement, militairement, économiquement mais aussi culturellement le monde.
Il y en a eu d’autres, en Chine, au Japon, en Amérique du Sud, il y a eu des empires et des royaumes puissants et éphémères en Afrique, mais ils sont restés enfermés dans une geôle informelle, n’ont pas pu ou n’ont pas su s’exporter, se développer, se propager, conquérir.
Bien sûr, me direz-vous, le papier, la poudre à canon sont des inventions chinoises, mais qu’en a fait la Chine ancestrale ?
Elle les a utilisés chez elle, elle n’a pas voulu les exporter, les distribuer, en profiter pour conquérir intellectuellement (en ce qui concerne le papier) ou militairement (en ce qui concerne la poudre à canon), elle n‘a pas eu d‘expansion profitable économiquement, il lui manquait du dynamisme et de l‘ambition.
Le Japon, puisque nous le citons, est resté enfermé dans son orgueil et sa xénophobie durant très longtemps; il a fallu que les Japonais perdent une guerre, subissent une invasion pour qu’ils prennent leur élan économique durant la seconde moitié du XX e siècle.
Il n’en est pas de même du sultanat d’Oman, par exemple, qui, depuis des siècles, a exporté sa vitalité le long des côtes de l’océan Indien, en Afrique et qui, depuis Zanzibar, a exporté quantité de richesses, des pierres précieuses, de l’or, de l’ivoire et des esclaves qui ont assuré sa prospérité bien avant que l’on connaisse la puissance de l’or noir.
Le succès de notre expansion, de notre dynamisme a quelque peu occulté notre logique, pourquoi faut-il que « notre histoire », celle que l’on nous a enseignée à l’école, nous parle en priorité et presque exclusivement des grands explorateurs marins, Christophe Colomb, Bartholomeu Diaz, Cabral, Magellan, Vasco de Gama, La Pérouse, Diego Cao et les autres moins souvent cités, tels que Mungo Park, Barth, la famille Polo, Stanley, Livingstone, Cabeza de Vacca, et tant d’autres parfois oubliés et qui ont tout autant de mérite à être connus et que, même s’ils n’ont pas découvert de nouveaux continents, ont découvert des fleuves, des montagnes, des plaines, des vallées, des déserts et surtout des peuples.
Qui connaît les noms des marins pêcheurs bretons qui ont fréquenté les eaux islandaises, les côtes du Groenland et celles du Labrador longtemps, peut-être deux siècles, avant que Christophe Colomb ne « découvre » l’Amérique ?
Mais aussi, qui connaît Ibn Battuta, un des plus grands explorateurs du XIV e siècle; né le 24 février 1304 à Tanger (Maroc) et décédé entre 1368 et 1377, il fut l'un des plus grands explorateurs de tous les temps.
Ibn Battuta, le « Marco Polo » de l'islam, parcourut 120 000 km en 28 ans de voyages, de Tombouctou à Bulghar (en actuelle Russie, sur la Volga) et de Tanger à Pékin, il aurait atteint la Réunion, peut-être Madagascar et certains parlent même d‘une circumnavigation de l‘Afrique ... au XIV e siècle !
Oublié ce grand voyageur, et inconnus beaucoup d’autres.
Par contre, nous avons imposé nos propres héros dans les pays conquis, une petite agglomération, sur le pool Malébo, N’Shasa, s’est vue baptisée Léopoldville, et Kisangani-Boyoma a été appelée Stanleyville et combien d’autres ?
Si le premier Congolais à visiter Paris s’était appelé, par exemple Pili-pili Marcel, aurait-on pu, ne serait-ce qu’envisager sans déclencher un énorme éclat de rire, débaptiser la ville lumière pour la renommer Pilipiliville ?
Un dynamisme autorégulateur
Ce dynamisme, cette expansion a fini par engendrer son propre affaiblissement, et là, je vous prie de remarquer que je n’ai pas parlé de sa propre disparition.
Un Congolais me disait que l’idée même d’indépendance avait germé dès que le premier enfant du Congo était entré à l’école, que c’était à ce moment que la graine avait commencé à germer.
Le développement de nos techniques pédagogiques, le besoin que nous avions d’impliquer les autres peuples dans notre philosophie, les techniques médiatiques d’information ont fait que ceux qui jusqu’à présent étaient restés discrets, voire cachés, émergent et veulent partager puissance et richesses.
C’est normal et de bonne guerre, nous ne devons aucunement rester nostalgiques de notre grandeur exclusive passée, nous avons atteint ce qui ne semblait pas être notre objectif mais qui était la finalité logique informelle de notre action depuis des siècles: le partage.
Partage du pouvoir, partage des richesses, partage des techniques, partage de la manière de vivre, partage des idées.
Nous n’en sortirons pas amoindris, mais nous saurons puiser chez autrui un limon fertile qui modifiera, enrichira notre pensée, notre manière d’approcher les problèmes qui ne seront plus uniquement les nôtres mais qui seront devenus planétaires.
Le péon n’est pas un esclave ni un prisonnier de Birkenau, il fait partie d’une classe d’individus qui ont des droits mais dont le pouvoir décisionnel est quasi nul, ils subissent la loi d’autres qui ont les mêmes droits mais savent les utiliser pour décider.
Si leur nombre a tendance à diminuer, la mutation n’est pas linéaire, elle subit des à-coups, des hésitations, des retours en arrière et les minorités, dans le cadre d’une organisation sociale, politique, démocratique, doivent veiller à ne pas régresser dans leurs libertés.
Une monarchie importée
Chez nos voisins, nous avons comme chefs d’États, des rois, le roi d’Espagne, la reine d’Angleterre, la reine de Hollande, au siècle dernier le roi d’Italie et il y a un peu plus de deux siècles, le roi de France.
Ces monarchies sont ou étaient issues de la noblesse locale, qui a su fédérer les différentes autorités géographiques en un ensemble politique et constituer un royaume.
Chez nous, en Belgique, rien de tout cela, nous avons un roi qui est le roi des Belges, une pièce rapportée, importée, un Saxe-Cobourg, qui jamais n’avait fait souche dans les limites de notre royaume.
Cela me semble combien logique, un petit confetti de terre, créé de toutes pièces au milieu de l’Europe des belligérants au lendemain des guerres napoléoniennes, il lui fallait une autorité diplomatique acceptée par ses voisins mais aussi par les deux communautés dominantes, ethniquement, historiquement et linguistiquement tellement différentes.
Une autorité importée, sans racines dans le terroir de son royaume était ce qui était nécessaire, peut-être pas l’idéal, mais cela a très bien fonctionné jusqu’au milieu du XX e siècle et tous nos rois ont pris épouse eux aussi à l’étranger.
Au fait, nous avons été gouvernés par des étrangers jusqu’à ce qu’un l’un d’eux, Léopold le troisième, a pris femme en seconde noce dans une des communautés traditionnellement belges.
A partir de là, des questions ont commencé à se poser et le successeur d’Albert II, qui a épousé une Ardennaise aura fort à faire pour s’imposer malgré les efforts méritoires pour trouver à son épouse des racines flamandes.
Monarchie contre république
Mais de plus en plus souvent, des voix s’élèvent, surtout dans le nord du pays: la monarchie est-elle encore d’actualité ? Ne pourrait-on envisager autre chose, un autre système ?
Notre manie de toujours nous remettre en question, notre qualité, dirais-je, de toujours nous interroger n’est pas nécessairement cousue de bonnes intentions.
Il y a parfois des agendas cachés, des idées non encore exprimées car pas encore mûres à être acceptées.
Quoiqu’il en soit et quels que soient les options, les objectifs sous-jacents, la question est d’actualité.
A première vue nous passer de la famille royale n’est pas impossible à condition de pouvoir remplacer cette autorité, même relativement symbolique, par une autre plus contemporaine, il faut l’espérer, mais aussi plus performante, plus adéquate, mieux adaptée à la modernité actuelle et surtout à l’avenir du pays.
On pense, ils pensent, généralement à l’alternative de la république, excluant ou oubliant la dictature, quoique parfois celle-ci apparaît sans même que l’on ne se soit aperçu de la déviance.
Retenons donc pour l’instant, dans l’immédiat, le système républicain, démocratique, ayant définitivement oblitéré les derniers vestiges du système héréditaire de ce qui sera devenu l’Ancien Régime, qui va dans le sens de la Révolution de 1789. Du moins dans l’esprit de cette révolution, pas nécessairement dans son application.
Nous aurions donc une République de Belgique !
Reste à déterminer quelle genre de république.
Une république de type présidentiel, donnant à son président une autorité certaine, telle que connaissent les États-Unis d’Amérique, les républiques sud-Américaines, la Russie.
Peu démocratique, sauf au moment de l’élection de son président, clientéliste, partisane, lobbyiste, affairiste, voire familiale.
Une république de type semi-présidentiel, comme en France, qui a l’avantage de fonctionner et de laisser la possibilité au président élu de jouer le rôle de bouc- émissaire sur qui on peut, sans états d’âme, rejeter la cause de tout ce qui n’est pas parfait.
C’est évidemment très commode et à envisager, dans un pays de citoyens râleurs comme le nôtre, ce serait bien pratique.
Une république parlementaire, dans laquelle la constitution ne laisserait au président que le rôle d’inaugurer les chrysanthèmes, un président potiche, juste utile pour remettre des décorations, présider aux défilés militaires et recevoir les ambassadeurs.
Celle-là nous changerait assez peu du système monarchique parlementaire actuel.
Si! Cela changerait dans le choix et du président et du premier ministre.
Lorsque nous sommes en présence de plusieurs dizaines d’entités administratives, plusieurs États, plusieurs Länders, comme en Allemagne ou aux États-Unis, cela a peu d’importance, mais en Belgique, où nous avons seulement trois communautés dont deux importantes, très importantes par rapport à la troisième, cela n’arrangerait certainement pas mieux les choses qu’actuellement.
A moins de laisser systématiquement la présidence à la communauté germanophone, plus sereine, tout autre choix et du président et du premier ministre serait, naturellement, l’objet d’âpres discussions, de bien de compromis, de bagarres homériques et de remises en question éternelles qui n’amélioreraient certainement pas la qualité de la gestion de l’État.
De toute manières, quelles que soient les solutions envisagées, pour cinq ou sept ans dans le cas du chef de l’État et pour quatre ans, à moins que cela ne change, dans le cas du premier ministre, dans un pays où la proportion du nombre d’habitants de chaque communauté est de 65 %, 34 % et 1 %, il y aurait toujours une ou deux communautés, soit certainement au moins 35 % de la population qui en feraient les frais et qui seraient ou, en tout cas, qui se considéreraient comme les péons modernes, sous-représentés, dominés, frustrés, sans pouvoir décisionnel, bref des sous-citoyens.
Ce n’est certainement pas une meilleure solution que la solution actuelle.
La tentation séparatiste
Alors... gai, gai, divorçons !
S’il n’y a plus de terrain d’entente, si le torchon brûle dans ce vieux ménage de presque 180 ans, que chacun reprenne ses billes et retourne chez sa mère.
Mais quelles billes ?
Après 180 ans de mariage, les biens sont tous des acquêts !
Chacun prendrait ses distances avec son propre terrain et ce qui y est construit, assez logique en soi.
Et Bruxelles alors ?
On ne peut guère abandonner un peu plus d’un million d’habitants, enfermés dans un carcan géographique, d’un grand, d’un énorme dynamisme économique, d’origines des plus variées et de langues toutes minoritaires quelque part.
Là, il y aurait un problème.
On peut toujours décréter que Bruxelles ferait partie intégrante du nord du pays, ce serait inclure automatiquement huit cent mille non-néerlandophones en Flandre, si du point de vue économique, ce serait tout bénéfice pour l’actuelle partie nord du pays, je ne penses pas que ce serait régler le problème linguistique, loin de là.
Si le groupe ethnique majoritaire en Belgique considère que le séparatisme semble vivable pour eux, les autres, tout le reste de la population, soit 35 % des habitants du pays savent que dans la structure actuelle, ils seraient en grandes difficultés; un équilibre, précaire, il est vrai, mais un équilibre quand même serait rompu, les problèmes économiques seraient énormes dans le contexte européen.
Nous aurions plus de trois millions et demi de citoyens qui se sentiraient abandonnés, des péons ballottés dans un océan de règlements, d’obligations internationales supportables, et encore tout juste, dans une communauté de dix millions de personnes mais nettement plus contraignants dans une communauté de moins de quatre millions d’individus.
Bien sûr, il y a actuellement en Europe de plus petites entités encore, le Grand Duché de Luxembourg, pays agricole, qui a perdu beaucoup de revenus de son industrie mais qui est une place financière bien rentable; il y a aussi la Cité du Vatican, Lichtenstein, Monaco, Andorre et San Marino, toutes communautés historiques dont l’économie est axée sur un seul pôle, soit le tourisme, soit la finance, soit la religion.
En ce qui concerne les communautés francophone et germanophone de Belgique, sur quoi pourraient-elles s’appuyer ?
Quant à la communauté néerlandophone, dominante économiquement, serait-elle rentable à long terme ?
Ne serait-elle pas attirée par un leurre, une situation immédiate, à court terme, une euphorie mise en valeur par des politiques ambitieux ?
Nous ne pouvons être certains qu’une initiative aboutissant à un séparatisme pur et simple, une scission, une fracture soit appréciée diplomatiquement par nos voisins.
Beaucoup d’entre eux sont en proie à des mouvements centrifuges: la France avec la Bretagne, la Corse, les Basques, voir l’Alsace et la Lorraine; l’Espagne avec la Catalogne, l’Italie, le Royaume dit Unis, et d’autres.
La Tchécoslovaquie, me direz-vous, a réussi sa partition, mais il faut dire que la situation n’était pas la même, ce pays a été, comme la Belgique, il est vrai, créé de toutes pièces très récemment, après la première Guerre mondiale; il ne s’est pas libéré, comme nous l’avons fait d’un joug de type colonial, il a été imposé à ses habitants en 1918 et dissous en 1992 à la demande de la Slovaquie, partenaire économiquement le plus faible.
Une partition de la Belgique mettrait certainement très mal à l’aise nos partenaires européens qui ont parfois bien du mal à garder la cohésion des différentes ethnies de leur territoire.
Reste le rattachisme
Et oui ! Pourquoi pas ?
Si le nord du pays, la Flandre continue son chemin en solitaire, la partie sud, la Wallonie pourrait certainement chercher appui auprès de son grand voisin français.
Celui-ci serait probablement preneur mais avec quelques réticences.
Il est certain que la Wallonie n’accepterait pas d’entrer en République française comme un Département ou un Territoire d’Outre-mer, elle voudrait y accéder avec le statut de région jouissant d’une certaine autonomie compte tenu de ses spécificités économiques, sociales, ethniques et historiques et elle négocierait en ce sens.
Sans tradition républicaine, ou tellement peu, la Wallonie aurait quelque mal à s’intégrer dans une France fière d’elle-même, relativement chauvine y compris envers ses voisins du nord qui sont souvent qualifiés de “petits Belges”.
Il faut dire aussi que les réactions françaises au lendemain de la cessation des combats en mai 1940 ont laissé chez certains, de chaque côté de la frontière, un sentiment d’amertume qui ne pourra se dissiper, après tant d’années déjà, d’un simple coup de baguette.
Nous avons déjà été français et nous pourrions à nouveau déformer les limites hexagonales de nos voisins du sud, mais cela ne se ferait pas sans quelques grincements de dents.
Des neuf départements qui divisaient administrativement la surface actuelle de la Belgique entre 1795 et 1811, quatre sont compris totalement ou quasi totalement dans l’actuelle Wallonie, les départements des Forêts, de Jemappes, de la Meuse inférieure et de l’entre-Sambre-et-Meuse.
Deux sont litigieux, le Département de la Dyle, incluait Bruxelles, Louvain et Nivelles et le Département de l’Ourthe qui empiétait sérieusement sur l’actuelle République fédérale allemande.
Les autres (Deux-Nèthes, Escaut, Lys) étaient des départements se trouvant actuellement en Flandre.
L’intégration est possible naturellement, mais que de négociations, que de problèmes à résoudre.
La Constitution française n’est guère identique à la Constitution belge, non seulement quant à l’organisation de la structure de l’État, mais aussi dans sa conception.
La conception de la Justice, par exemple, nous avons en Belgique trois pouvoirs, le Pouvoir législatif qui élabore les lois, le Pouvoir exécutif qui organise leur exécution et le Pouvoir judiciaire qui les contrôle et les sanctionne; mais en plus, nous avons une Cour constitutionnelle qui tranche souverainement, indépendamment des trois pouvoirs quant à la validité constitutionnelle des lois élaborées par le parlement.
En France, il n’y a que deux pouvoirs, le Pouvoir législatif et le Pouvoir exécutif, la Justice n‘est pas un pouvoir mais une “Autorité judiciaire“.
C’est seulement depuis la constitution de 1958 qu’ils ont créé non pas une cour, mais un Conseil constitutionnel qui assume le même rôle que notre Cours constitutionnelle mais qui n’est qu’un conseil.
La France a donc 128 ans de retard sur la Belgique en ce qui concerne le niveau de contrôle de la démocratie; c’est toute une philosophie qui est différente et à laquelle nous devrions, nous Wallons, nous habituer et surtout accepter, car au fait, pendant un certain temps, nous ne serions qu’ “invités” en République française.
Et je reviens à ma réflexion de base; nous risquons d’être des Français de seconde zone, de Nouveaux Français, tolérés, acceptés, encore peu dans le coup, à modeler, à éduquer, à enseigner, bref... des Français péons !
Alors ? République ou monarchie ?
Cela vaut peut-être la peine d’y réfléchir sérieusement, d’envisager tous les cas de figure, de rechercher et d’examiner toutes les implications, de peser les avantages et les inconvénients avant de se lancer tête baissée dans une aventure, plus peut-être pour fuir une situation qui nous semble actuellement intenable que pour ouvrir la porte à un avenir qui nous paraît à première vue bien plus prometteur.
E.A.Christiane
Anderlecht, le 10.06.08