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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 08:05

Soldats de fortune

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                    Misapi mya loboko mikokani te

                         Tous les doigts de la main ne se ressemblent pas.

                                                     (Proverbe congolais)

 

Durant plus de deux ans, de mai 1965 à juillet 1967, nous avons eu l'occasion de fréquenter journellement ce que l'on appelle généralement les "mercenaires" mais que nous appelions les "volontaires".

Parmi eux, nous avons connu de vrais guerriers, des soldats chevronnés avec beaucoup d'expérience.

Il ne fallait pas s'attarder sur leur passé qui parfois était discutable, d'ailleurs ils étaient presque toujours connus sous un nom d'emprunt.

Kurt, un Allemand, tireur hors pair, je l'ai vu, assis sur le siège passager d'une jeep, son fusil fal dans le creux de son coude droit, tirer au jugé et abattre un oiseau perché sur l'arbuste au-dessus de lui.

Cet homme ex-militaire de la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale a préféré, pour des raisons personnelles, ne pas rester en Europe après la guerre et a travaillé au Paraguay dans une exploitation forestière.

Durant 17 ans, il a vécu, en forêt, son arme à la main; indépendamment de son passé, c'était un guerrier, un homme sérieux dans son travail de militaire et en qui on pouvait faire confiance question sécurité.

Il y avait aussi le lieutenant Max Kerberenes (nom d'emprunt évidemment) un ancien du 2me REP (Deuxième régiment étranger de parachutistes) en mai 1958 à Alger, il avait crapahuté dans l'Aurès durant de nombreux mois, il avait l'expérience du terrain et de la guérilla.

Vital aussi, plus âgé, il avait été à la Légion Wallonie, un survivant de Tcherkassy.

Sur ceux-là et leurs semblables on pouvait compter.

Mais il y avait aussi les autres, des petits délinquants qui voulaient prendre un peu de distance avec leur milieu, des maquereaux et un tas de personnages indéfinissables.

Il y avait un Finlandais qui se promenait avec dans sa poche, dans du papier journal, un échantillon de ses selles; il prétendait avoir attrapé quantité de parasites intestinaux et essayait de convaincre tout qui il rencontrait.

Beaucoup de déçus sentimentaux, des violents, des ivrognes et aussi des garçons les plus normaux qui soient et qui voulaient seulement vivre une expérience, se frotter au danger.

Il y avait aussi les deux frères, liégeois, dont un était cleptomane; il le savait et ne se formalisait absolument pas, lorsque sortant de chez nous, ses amis lui demandaient de vider ses poches; nous récupérions ainsi cendriers, clefs, ouvre-bouteilles etc. Quoi de plus normal que d'être cleptomane?

Fin 1964, rue Berckmans, à Saint-Gilles, mon épouse et moi-même sommes accostés par un Monsieur, nettement plus âgé que nous qui cherchait la rue Capouillet; nous lui indiquons bien volontiers et ... sa figure nous semble familière.

Il nous dit être Johnny Guitare, un acteur qui a tourné, en 1938, je pense, avec de grandes vedettes à Hollywood; il nous montre des photos, c'était bien lui.

Un peu plus d'un an plus tard, nous l'avons retrouvé à Basoko, mercenaire, nous nous sommes reconnus et il nous a expliqué qu'il ne pouvait plus jouer de la guitare en professionnel, sa main droite étant très abîmée suite à une bagarre dans un bar à Yokohama, nous dit-il.

C'est rue Capouillet, à Saint-Gilles que se situait le bureau de recrutement.

Ces militaires-là étaient certainement beaucoup moins fiables que les professionnels. On peut comprendre.

Durant le second semestre 1964, la rébellion muleliste était maître des deux tiers du territoire congolais, ce sont les mercenaires qui ont remplacé l'Armée nationale en liquéfaction; une équipe est partie de Boende pour libérer la cuvette, au sud du fleuve Congo; une autre de Gemena pour libérer le nord du fleuve Congo et une colonne de militaires congolais sous le commandement du Colonel BEM J.L.A. Vandewalle, encadrés de techniciens belges, ce que l'on a appelé l'Ommegang, est partie de Kamina.

Tous convergeaient vers Kisangani.

La colonne militaire de la 5me brigade, partie de Kamina, a coordonné son arrivée à Stanleyville avec le droppage des paras belges le 24 novembre 1964.

C'est à cette date que la ville a été libérée ainsi que les otages étrangers qui y étaient détenus.

La pacification du territoire durera encore de nombreux mois.

Les mercenaires étaient engagés pour des termes de six mois à l'issue desquels ils avaient droit à un mois de congé.

Nourri, logé et équipé bien entendu, le simple soldat touchait 22.000 francs belges par mois et le sous-lieutenant ou faisant fonction 34.000 francs belges (nous étions en 1965).

A chaque réengagement le contrat stipulait qu'il toucherait net 1.000 francs en plus mensuellement.

Ils avaient aussi une assurance au bénéfice de leurs proches de 1.000.000 de francs belges en cas de décès durant leur contrat.

En 1967, cette rébellion là (il y en aura d’autres) était en liquidation, Mobutu avait repris le pays en main, le parti unique le "Mouvement populaire de la révolution " (M.P.R.) était créé et regroupait tous les Zaïrois.

Il fallait se débarrasser des mercenaires et de leurs alliés, les ex-gendarmes katangais qui eux étaient commandés par le colonel Tshipola.

Ce furent les révoltes des Katangais puis des mercenaires qui ont fini par rendre leurs armes à l'armée ruandaise le 5 novembre 1967.

Les quelques mercenaires qui se trouvaient à Léopoldville en transit à ce moment, partant ou revenant de congé, dont une de nos connaissances, le Docteur Juan Redondo avec qui nous avions vécu un an à Lukumete en 1962, ont été fusillés au camp Kokolo et leurs corps auraient été jetés dans le fleuve.

Une manière comme une autre d'opérer un licenciement pour suppression d'emploi sans que cela ne coûte trop cher.

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