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2 décembre 2010 4 02 /12 /décembre /2010 08:40

 

 

 

Les fourmis de la colonie

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            Il y a quelques semaines, au cours d’une réunion, un participant en verve à fait le panégyrique des trois piliers qui, à ses yeux, ont supporté le poids du Congo Belge en temps que colonie, l’Administration territoriale, l’enseignement catholique et l’organisation médicale.

           Il n’avait pas tort, ceux qui faisaient partie, qui constituaient ces trois “piliers” ont travaillé durement, dans des conditions parfois précaires, dans un confort souvent moins que relatif, avec un dévouement, des initiatives, un dynamisme qui leur donne droit à toute notre admiration.

            Parfois avec femme et enfants, faire vingt jours de brousse par mois, de gîtes d’étape en gîtes d’étape, isolés, loin de tout, ces membres de l’Administration coloniale, surtout durant leurs premiers termes ont donné plus que ce qui était humainement possible de donner.

           

            Et ce Monsieur, dans un élan lyrique de dire : “Lorsque l’on soulève une branche de palmier, une feuille de bananier, qu’y trouve-t-on ? On y trouve ...”

            Et là très grossièrement, je l’ai interrompu, en disant bien haut pour être entendu de tous “ On y trouve un agronome !!”.

 

 

            J’avais coupé les effets de cet homme enthousiaste, qui voulait mettre en exergue les agents territoriaux, les enseignants et les médecins de brousse.

           Mon idée n’était certainement pas de donner la part belle spécialement aux agronomes, étant moi-même agronome, mais rappeler aux participants qu’il n’y avait pas que les grands corps constitués, tels le service territoriale, les missions catholiques ou le service médical qui avait apporté leur brique à la construction de la Colonie.

            Il y avait aussi les sans grades, les sans noms, des discrets, cette multitude d’isolés qui ne sont pas intervenus ni dans l’administration, ni dans l’enseignement ni dans les soins médicaux mais qui ont crée, qui ont participé à l’élaboration de l’économie de la Colonie au niveau le plus bas, sur le terrain, à proximité des villages, des congolais de la brousse.

            Ces glèbeux, pour reprendre un terme de la bible (Genèse 1.27) sont hélas trop souvent oubliés et cependant ils ne constituaient peut être pas la colonne vertébrale de la Colonie, mais le tissus parenchymateux de ce vaste hinterland.

            Ce sont eux qui étaient sur le terrain, seuls, courageux essayant de survivre mais constituant le lien direct entre les villageois, les paysans africains et l’esprit d’entreprise européen.

            Agents territoriaux, révérends pères des missions catholiques, médecins de la Colonie, agents des grosses sociétés agricoles, financières, de transport ou minières, n’étaient pas isolés, ils faisaient partie d’un système, étaient sous contrat, protégés, formaient un clan au sein duquel ils pouvaient, abstraction faites des jalousies ou des ambitions, trouver aide et réconfort.

 

 

 

 

             

                                                                                               O vous tous qui avez soif,

                                                                                                venez aux eaux.

 

 

                                                                                                                                       Isaïe 55-1

 

            C’est le petit commerçant portugais qui avait construit sa boutique le long d’une route au milieu de nulle part.

Il y sentait le pétrole et le poisson séché et on pouvait y trouver de tout ce qui pouvait ressembler à un début de civilisation occidentale, casserole, sel, wax, calicot, lampe tempête, bouton, fil à coudre, fil à cheveux, machette, chemise et quantité d’autres choses.

            Il vivait dans son magasin et nous voyageurs assoiffés, couverts de poussière de latérite, par 40° C à l’ombre après avoir parcouru 150 kilomètres en pick-up, nous y trouvions un endroit où il était bon de s’arrêter pour y boire une bouteille de bière ou de limonade tiède.

            Vraiment rien de spécial, une Primus tiède, mais quand on a soif...

            Et puis un brin de causette, souvent en lingala car ce Portugais ne connaissais pas nécessairement a langue française, mais enfin, c’était peut-être pour lui la seule possibilité qu’il aurait de la journée de rencontrer un européen.

             Il était, cette boutique était, le “centre commercial” du village avoisinant, c’était là que le villageois pouvait vendre quelques kilos de noix palmistes, un peu de fibres, du rauwolfia et recevoir en échange un peu de nos paillettes de civilisation.

 

 

 

            C’est le prospecteur géomètre qui bien sûr travaille pour une entreprise ou pour le gouvernement, mais qui est seul, sous tente dans la savane, quinze jours durant sans contact autres qu’avec la poignée de travailleurs africains qui le seconde.

            Je les ai côtoyés en 1970, je crois, trois expatriés, six porteurs de théodolites et trois jeeps qui ont cherché de sept heures du matin à six heures du soir, durant deux mois, un moyen de faire sortir une hypothétique ligne de chemin de fer de la cuvette du Kasaï à Port Francqui.

            Ils cherchaient une petite rivière, un semblant de ruisseau, une faille par laquelle le chemin de fer à l’étude aurait pu sortir des rives de cfette tumultueuse rivière pour atteindre le plateau et être prolongé jusqu’à Kinshasa.

            Nous avions hébergés cette légère équipe de Français dans une plantation à 40 kilomètres d’Ilebo.

Ils avaient un travail dur, harassant, Le soir, ils revenais mordus, piqués, affamés, assoiffés, égratignés, ils s’écroulaient sur leur lit de camps et le lendemain matin, ils étaient de nouveau au travail à arpenter les rives du Kasaï.

 

 

            C’est l’homme courageux qui a investi toutes ses économies dans l’achat d’un camion Mercédès en Rhodésie et qui se lance sur les pistes de l’est du Congo et de l’Uélé, en toutes saisons, ruisselant de transpiration sous sa croute de poussière ou luttant pour éviter de s’embourber lorsqu’il pleut.

            Précautionneux avec son seul capital, son véhicule, qui est à la fois sa maison et son bureau, à la recherche de fret chez le petit colon, inquiet du coût de la tonne kilométrique, paniqué à l’idée d’une panne grave qui l’immobiliserait de nombreux jours sur le bord de la route alors qu’il a un contrat de livraison de la marchandise vers le port lacustre ou fluvial le plus proche mais peut être encore distant de trois cents ou quatre cents kilomètres.

            La hantise d’un accident, d’une mauvaise rencontre sur la route ou d’une crise de malaria qui lui serait souvent d’un grand préjudice.

             Il est seul avec ses pensées, ses espoirs et ses tracas.

            Parfois il peut loger, se restaurer prendre un peu de repos et une bonne douche dans une plantation, chez un colon qui est aussi un de ses clients, mais il ne compte plus les nuits qu’il a passé dans la cabine de son véhicule.

 

 

            C’est le cordonnier indien qui a fuit la misère de son village et d’étape en étape a atteint une ville où il est le seul de ses concitoyens et de ses coreligionnaires, il vient ouvrir une boutique, essaye d’avoir une clientèle, se met au travail pour vivre et faire vivre sa famille.

            Seul, sans protection, sans amis, comment trouver la nourriture à laquelle il est habitué, comment accepter que l’on éduque ses enfants dans une école confessionnelle qui n’est pas de sa religion, comment trouver une compagne pour ses fils, un époux pour ses filles dans sa coutume, au sein de sa caste.

            Ces gens courageux avaient problèmes dont nous, qui avons eu la chance de ne pas connaître avons parfois difficile à comprendre.

 

 

 

            C’est la famille de missionnaires non catholiques romains, réformistes, baptistes ou autres qui est venue s’installer en bordure de foret, à la limite de la savane.

             Elle vient pour évangéliser les populations avoisinantes, pleine d’espoir et de foi, elle vit sur le pays, elle vit de son potager, des fruits et des produits du pays et elle est là avec femme et enfants.

            Ici, je voudrais rendre hommage au Révérend, feu Herbert Ernest Gring, un américain qui s’est installé avant la seconde guerre mondiale à Kolékima à la limite des Territoires de Port-Francqui et de Oshwe avec toute sa famille. Un saint -homme.

            Lorsque, voyageur, vous vous arrêtiez dans une de ces petites missions évangélistes, vous étiez toujours très bien, mais simplement reçus.

            Pas de bière, mais un verre d’eau fraiche avec le jus d’une agrume du jardin et encore parfois, une tranche de papaye avec un filet de citron.

            Pauvres, mais généreux.

            Ils étaient aussi très isolés, financés par leur congrégation, ils ne faisaient aucunes dépenses personnelles mais se consacraient à la population locale dans un esprit évangélique.

 

 

            Ce sont des jeunes gens, fils de fermiers wallons ou flamands qui avaient obtenus en concession une colline souvent peuplée de serpents et qui se lançaient, avec bien peu de moyens dans un colonat plein de risques.

            Vivant dans une maison en pisé, pour commencer, ils avaient dégagés un espace pour faire une pépinière et consacraient leur énergie avec un strict minimum de main d’œuvre à défricher ce qui allait être leur plantation.

            Isolés, ils vivaient sur le pays, bananes plantains, patates douces, manioc, légumes locaux, poissons de la rivière, parfois de la viande de chasse ou un poulet étriqué quand c’était possible.

            Leur isolement était souvent atténué par la présence d’une compagne dévouées et bien nécessaire pour les seconder en attendant, après cinq ou six ans, une première récolte qui leur permettrait d’un peu mieux vivre et de surtout de commencer à rembourser les emprunts qu’ils avaient contractés auprès des banques.

 

 

            Ce sont ces pêcheurs ostendais qui partaient en atlantique sud pour plusieurs mois dans le cadre de l’approvisionnement de la capitale Kinshasa en poisson de mer.

             Dur métier que celui de la mer, loin de la famille dans le froid et la promiscuité mais aussi dans un isolement culturel, social et linguistique, seuls devant leurs responsabilités et qui décomptaient les jours avant de rentrer au pays.

 

 

 

             Ce sont ces gens du Nord, ces Danois, ces Norvégiens, ces Suédois, ces Russes qui sont venus tout au début de la colonie pour naviguer sur le fleuve ou sur les rivières à peine découvertes.

             Ils ont abandonné leurs familles, leurs espérances ils ont laissé leur pays, fuis les troubles politiques, espérant une meilleure vie sur un bateau du fleuve.

             Eux aussi étaient seuls de leur culture, ils ont ouvert les voies de ce qui allait être la navigation fluviale, dévorés par les moustiques, sujets aux maladies car bien peu adaptés aux conditions de travail sous l’équateur.

 

           Ce sont ces juifs, fuyant ou miraculeusement échappés à la terreur nazie, qui ont quitté leurs îles méditerranéennes pour rejoindre un petit cousin ou un oncle déjà installé au Shaba ou ailleurs.

             Ils ont dû s’habituer, souvent exploités, on leur a confié les magasins les moins rentables, les plus éloignés, seuls responsables devant leurs parents qui ne leur faisaient guère de cadeaux, qui ne leur pardonnaient vraiment peu de choses.

             Ils ont tenu, ils se sont accrochés et certains d’entre eux ont crée des vrais empires commerciaux.

            Eux aussi ont soufferts dans un certain isolement et leurs souffrances ont contribué au développement de la Colonie.

 

             C’est l’agent sanitaire, perdu dans un dispensaire de brousse et qui voit mourir un enfant ou une femme en couche parce qu’il n’a pas la technicité nécessaire pour sauver leurs vies ou le médicament adéquat pour les guérir à moins que ces malheureux ne soient arrivés trop tard à son dispensaire après avoir vainement essayé de se faire soigner par un tradi-praticien qui, s’il connait les plantes qui guérissent ne maitrise pas nécessairement le dosage qui convient à chaque malade.

              A qui peut-il demander conseil, le médecin de Territoire se trouve peut-être à 100 ou 120 kilomètres du village dans lequel il séjourne.

              Il doit se contenter, les larmes aux yeux d’assister à l’agonie de quelqu’un dont moralement il avait la charge de le garder en vie.

 

 

            C’est le commerçant grec ou pakistanais à bord de son petit bateau, qui de village en village va vendre sa marchandise, petits articles de traite ou caisses de bières, il est seul à gérer son stock, à veiller à sa sécurité, à naviguer de jour et à veiller de nuit dans l’espoir de rentrer à Kisangani ou à Léopoldville sans avaries, sans pertes financières, sans accident, de recharger et de repartir sur le fleuve pour un autre voyage.

 

 

            Tous ces exemples sont ceux de femmes et d’hommes courageux, qui étaient isolés professionnellement, qui ont pris des risques, qui voulaient, si pas faire fortune du moins essayer de survivre, ils étaient isolés, solitaires devant des décisions à prendre, des problèmes à régler, sans amis à qui se confier, sans personne chez qui prendre conseils.

Ils font partie des minorités, ne sont pas nécessairement originaire de l’Europe de l’Ouest, ils sont Russes, Nordiques, Américains, Grecs, Asiatiques ou d’autres part; ils sont loin de leur culture, de leur religion, pas catholiques romains, mais réformistes, shintoïstes, hindouistes ou athées, philosophiquement ils sont religieux, laïques, francs-maçons, libres penseurs ou penseurs libres, un seul lien commun... ils sont seuls ou quasi-seuls.

            Et cependant, ils ont fait leur travail, les fondations, les piliers de la Colonie dont nous parlions plus haut, l’Administration, l’Enseignement, le Service médical auquel nous pouvons ajouter le capital agro-industriel, financiers ou des industries d’extraction, ces fondations disais-je s’asseyaient sur un sol stable, sur cette multitude de sans-grades, d’oubliés, ces téméraires, seuls ou constitués en Petites et Moyennes entreprises qui ont été la base, le fond de l‘économie de notre colonie..

 

 

             De ceux là, on ne parle guère dans les livres d’histoire, ils n’ont jamais leurs noms gravés sur un monument, ils n’ont pas droit à une rubrique ou à une médaille ou autre distinction honorifique.

             Mais ils ont droit de notre part à bien plus que cela, ils ont droit à NOTRE RESPECT.

 

 

 

                                                                                                                                           E.A.Christiane

                                                                                                                                Anderlecht le 30.11.2010

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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