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2 septembre 2010 4 02 /09 /septembre /2010 17:07

Jean-François Deniau - Mémoires de 7 vies

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            Je viens de terminer la relecture des deux volumes de “Mémoires de 7 vies “ de Jean-François Deniau ( de l’Académie française) édités chez Plon en novembre 1994.

             S’il est une personne qui a eu la chance et les moyens de vivre sept vies (comme un chat) et peut-être plus, c’est bien J.F. Deniau.

 

 

1.- Les temps aventureux

 

 

            Né en France en 1929 dans une famille comptant de nombreux serviteurs dévoués dans la diplomatie, l’armée ou simplement les aventures de la République française, l’auteur a eut une jeunesse riche en observations, en témoignages, en voyages à l’étranger dans des conditions souvent “démocratiques” et parfois précaires qui lui ont permis d’emmagasiner une expérience personnelle exceptionnelle qui lui servira de base au futur de son existence.

            Certainement un surdoué; en plus de son entregent, de son art du contact humain, le droit, l’ethnologie et les langues font partie de son capital à première vue très aisément acquis.

             Il donne l’impression de n’avoir pas perdu son temps de jeunesse à de stériles activités, d’avoir eu une soif de savoir, l’ambition de se diversifier, le besoin d’être un “touche à tout”, spécialiste en rien mais d’une connaissance encyclopédique qui fait de lui un personnage intéressant en n’importe quelle circonstances.

            On pourrait dire un érudit qui en extrême Orient, dans le Pacifique, en Afrique du nord, dans les anciennes colonies françaises d’Afrique, en Russie, en Chine, au Vietnam, aux Etats-Unis, où qu’il aille, de par sa naissance et les contacts familiaux et autres qu’il a pu établir, a eu l’occasion de rencontrer les plus grands politiques, artistes surtout écrivains, militaires, qui ont fait l’actualité de l’époque, et d’échanger des idées avec eux, de les intéresser et d’enrichir son expérience à leurs contacts.

            En 1949, à l’âge de 20 ans, il connait l’expérience de la guerre, baroudeur dans les marais, en pleine guerre d’Indochine, cela ne l’empêche pas de passer à Saigon les examens de sélection pour entrer à l’Ecole Nationale d’Administration (ENA).

              Il est reçu et devient Enarque dans le cadre de l’Inspection Financière.

 

            On voit qu’il fut un homme “généraliste”, intéressé à tout, allant à la limite de ses capacités, n’ayant verrouillé aucune porte de la connaissance.

            Bref, ce à quoi nous pensons tous les jours, nous les distraits, nous les curieux et que, parfois même, nous approfondissons jusqu’au maximum de nos possibilités cognitives.

            Ce genre de personnes inconnus ou peu s‘en faut, ceux d’entre nous très souvent discrets mais pas toujours, qui ont un esprit insatisfait, qui veulent savoir et qui ne craignent pas de se faire critiquer de par leur légèreté, leur manque de spécialité, sont classé parmi les “touche à tout” sans profondeur, légers et sans réel intérêt.

 

            Ce fut le cas de Jean-François Deniaux qui mieux que moi a écrit son avis sur le sujet en page 37:

 

 

De toute façons, quand on est né rêveur impatient et que l’on a seulement “appris à refuser ce qui ne se fait pas, on n’a "pas vraiment de modèle. Il est fatal de donner l’impression de courir à tous vents.

“Surtout si on aime le vent.

“Avoir eu trop d’activités est mal vu des critiques. Il y a présomption d’amateurisme. C’est dans notre monde une "condamnation et spécialement en France où chacun ne songe qu’à protéger son domaine et à étiqueter les autres. Où "les philosophes ne parlent qu’aux philosophes, les politiques qu’aux politiques, les ingénieurs qu’aux ingénieurs, les "curés, les archéologues, les metteurs en scène, les délégués du personnel enseignant, tous ne parlent qu’entre eux et "pour eux. On oppose amateur à “pro”, qui est un grand compliment. On oublie qu’amateur veut dire “qui aime”. “J’ai "toujours essayé d’accomplir mes tâches très diverses en professionnel qui aime. Mais aussi, grave défaut, je n’ai jamais vraiment essayé de faire ce que je n’aimais pas faire. Le plaisir est impardonnable.”

 

 

            Il collectionne à l’époque les aventures sentimentales desquelles, d’après ses “Mémoires”, il ne semble pas être trop nostalgique.

            Passionné de navigation transocéanique, il profite aussi de son passage en Afrique du nord pour passer son brevet de pilote d‘aviation.

            La rencontre qui l’a le plus marqué, indépendamment des Krouchtchev, Mao, Kiesinger, Malraux et les autres, c’est avec l’ambassadeur André François-Poncet, Ambassadeur de France en Allemagne qui lui donne les premiers conseils, ceux qui ont le plus balisé les devoirs, les droits, la vie d’un diplomate en poste à l’étranger.

 

             André François-Poncet était un homme de grande valeur dont nous avons déjà parlé.

            Souvenez-vous, si vous l’avez lu, dans mon blog (www.e.a.christiane.over-blog.com) dans le chapitre “Intro” sous le titre “La valeur suprême” en page 1:

 

“Je ne peux m’empêcher de citer un passage du livre de Pierre Stephany - Portrait de grandes familles - Éditeur Racine "- 2004 - Chapitre “Les Davignon” - page 62:

 

 

" Lors d’un dîner officiel, en 1938, alors que l’Allemagne venait, dans une provocation de plus, de s’emparer d’un "morceau de la Tchécoslovaquie, l’ambassadeur de France, François-Poncet, doyen du corps diplomatique, fit une “allusion claire à la situation:

 

" Le plus beau laurier, dit-il, sera toujours celui que l'on peut cueillir sans faire pleurer les yeux d'une mère".

"Le Fuhrer ne broncha pas". 

 

            Mais l’ambassadeur J.François-Poncet peut être aussi plein d’humour (page 381) :

“ histoire de faire pouffer ses collaborateurs en pleine cérémonie officielle, il met en circulation son dernier quatrain:

 

Conformément à ma conduite

Sans nuire en rien à ma santé

Je tire encore deux coups de suite

L'un en hiver, lautre en été 

 

2.- Croire et oser

 

 

            Dans le second volume de ses mémoires J.F. Deniau trace la deuxième partie de sa vie, celle consacrée à sa carrière diplomatique durant laquelle il a pu faire profiter la France de son carnet d’adresses particulièrement flatteur dans lequel tout ce qui était grand ou moins grand dans le monde avait sa place, était répertorié et en qui il pouvait faire appel en cas de besoin.

             Il nous narre la manière qui nous semble particulièrement aisée avec laquelle il a pu faire libérer un certain nombre d’otages détenus dans des pays les moins sécurisés de la planète, des négociations politiques dans l’ancienne Yougoslavie puis certains détails de sa fonction de médiateur, malgré son très jeune âge, au sein de la communauté européenne.

              Il finit par y donner sa démission et est nommé par le Président de Gaulle ambassadeur à Nouakchott en Mauritanie.

              Ce fut son premier poste de représentant à l’étranger et il avait seulement 35 ans.

Il a beaucoup aimé ce pays, nous en fait une description étonnante et lyrique (pour un académicien, cela est presque nécessaire).

             Plus tard, il sera en poste à Madrid, durant deux ans et se liera d’amitié avec le roi Juan Carlos qui aime lui aussi la navigation en haute mer.

            Jean-François Deniaux tombe amoureux de l’Espagne et c’est avec regret qu’il quitte son poste anticipativement pour devenir en quelque sorte ambassadeur itinérant de la République Française.

            Il parcourt l’Afrique à la recherche de solutions à des problèmes insolubles.

            Il dira de ce continent : “En Afrique, il n‘y a pas de guerre, il y a seulement des massacres”.

 

            Très impliqué dans les problèmes européens, la Serbie, l’Angleterre seront ses terrains de lutte diplomatique habituels.

             Les Etats-Unis aussi, pays isolationniste traditionnel qui est sorti de ses frontières en 1917 pour y rentrer très rapidement.

             Ce ne fut pas de même en 1941, entrés de plein pieds dans la seconde guerre mondiale, ils y sont toujours.

             On ne conquiert pas toujours un empire, il vous est parfois imposé.

 

             Nommé Ministre du commerce extérieur français, il est de toutes les transactions commerciales importantes et de tous les contacts politiques épineux.

             C’est lui que l’on envoi en reconnaissance, en pré-contact avant les visites officielles, il prépare discrètement les ordres du jour, rencontre Jaruzelski, Deng Xiaoping avec qui il entretient des relations amicales, Kossyguine, l’ambassadeur Rotschild, Moktar ould Daddah, Paul-Henri Spaak, Bourguiba et beaucoup d’autres.

 

             Assez bizarrement il ne semble pas avoir été intéressé par son gouvernement aux problèmes du proche orient, il est vrai que la diplomatie française s’en est peu intéressée, sauf en ce qui concerne le Liban, considérant que cette partie de la planète était plutôt chasse gardée américaine ... quoique... le canal de Suez en 1956 ...

             Il a durant plusieurs décennies occupé une place diplomatique, d’intermédiaire effacé mais combien efficace.

 

 

3.-Impressions personnelles

 

             Ces deux volumes, totalisant 920 pages sont très distrayants, plein d’anecdotes, de petits dessous discrets de la diplomatie de l’après seconde guerre mondiale.

             Il est possible que je me trompe, mais à la lecture de certains chapitres, j’ai parfois eu l’impression de me trouver en terrain connu, d’avoir déjà vécu l’évènement.

             Peut être, et ce serait bien naturel, que l’auteur soit parfois tombé dans la tentation pardonnable de celui qui écrit ses mémoires, il remonte parfois le temps de quelques chapitres en parlant d’une circonstance qu’il développera plusieurs dizaines de pages plus loin.

             Ainsi, il suggère avoir anticipé l’actualité, avoir eu prémonition, avoir eu raison bien avant les autres.

            Mais, cela n’est que pêché véniel, et, Mon Dieu ! on n’a que le plaisir que l’on se donne et s’il faut compter sur autrui pour dire du bien de soi...

 

             Ceux qui ont écrit l’Histoire, avec un “ H “ majuscule, non pas l’anecdote ni l’historiette, mais l’histoire politique souvent, Hélas ! prélude à l’histoire militaire, se sont parfois lourdement trompés en ce sens qu’ils ont pris des décisions qu’ils croyaient appropriées à la situation.

             Décisions qui semblait être les meilleures dans l’actualité du moment, dans le but d’atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixé, mais qui à l’usage, quelques jours, quelques semaines, mois, années, décennies ou siècles plus tard ont générés les pires catastrophes et ont été la cause de bien des malheurs, des souffrances et des morts.

             Nous avons connu cela en Afrique dans les années 1960, au moment des crises politico-militaires les plus dramatiques, des politiciens, des diplomates, des responsables d’entreprises ont été amenés à faire des choix dans des situations pour lesquelles ils n’étaient pas préparés et n’avaient aucune expérience, aucune référence.

             Que peut-on leur reprocher ?

             Un manque de maturité ? Des lacunes dans leur formation ? Une défaillance émotionnelle ? Une absence de vision de l’histoire ? Peut-être !

             Mais qu’il est facile de critiquer à posteriori, sur base des résultats !

             Quelles décisions auraient prises ces critiques de salons feutrés s’ils s’étaient trouvés sur le terrain, devant leurs responsabilités, tiraillés entre leur position juridique envers leur hiérarchie et celle, parfois antagoniste, envers le personnel dont la sécurité dépendait de leur jugement ?

             Ces responsables parfois informels, souvent sans instructions précises, devant des situations imprévues, écartelés entre le capital exigeant et les perspectives entrevues de drames humains parmi les cadres, employés et ouvriers dont ils étaient ou se sentaient responsables, quelle était pour eux, à ce moment, la bonne décision à prendre ?

              Situation cornélienne s’il en est.

              Cas de conscience dramatique pour celui qui en avait l‘intuition.

 

 

             En fin de vie, J.F. Deniaux a accepté de se retirer, de vivre de ses souvenirs sans, semble-t-il, trop de regrets (second volume page 447):

 

“A mon âge, il est possible de faire la liste des pays où on n’ira pas, des amours qu’on ne connaîtra plus, des bonheurs "que l’on ne découvrira jamais au loin, à l’horizon, sous la voile. Jamais. Ce mot n’a pas de sens pour un enfant. Il est “déjà si révoltant d’entendre celui de “plus tard” et il n’y a plus de “plus tard” parce que la nuit est tombée et qu’il faut se "coucher, trop tard les enfants, bonne nuit, “dormez bien, à demain.”

 

 

             Cet homme pour qui agir n’était pas nécessairement réussir mais essayer était un grand sage, un homme hors du commun.

 

             C’est donc par une citation que je vais terminer le présent texte:

 

Jean-François Deniau, dans la seconde partie de ses mémoires, en page 162 nous dit:

 

“ J’ai longtemps cru que la seule philosophie de l’ Histoire avait été exprimée du haut du Golgotha : “Père, pardonnez-"leur; ils ne savent pas ce qu’ils font.”

“C’est plus grave: ils ne veulent pas savoir.”

 

 

 

                                                                                                                                                          E.A.Christiane

                                                                                                                                                Hermanne le 27.08.2010

Jean-François Deniau est décédé le 24.01.2007 à l’âge de 78 ans

 

 

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