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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 08:50

 Trop de lions dans la même cage

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                    Mbwa na mbwa ikokabelanaka mokûwa te

                           Chien et chien ne se partagent jamais un os.

                                                         (Proverbe congolais)

Nous sommes au centre commercial de Yaligimba; réparti de chaque côté de la route vers Aketi, il compte une quinzaine de magasins de traite et une vingtaine d'habitations en briques adobes.

Les bâtiments sont temporairement abandonnés par leurs propriétaires après pillage mais peu de destructions.

C'est là que les militaires avaient installé leur cantonnement, à environ huit kilomètres de la position avancée de Yandombo.

Nous habitions à moins d'un kilomètre, il y avait donc pour nous protéger, une compagnie de l'Armée nationale congolaise, une compagnie de soldats katangais et un peloton de 46 mercenaires.

Tout le monde était relativement bien installé: un groupe électrogène "emprunté" à la plantation ainsi qu'une installation électrique assez peu sécurisée permettait à chacun d'avoir au moins un point lumineux dans son gourbi.

Ce jour là, aux environs du 20 août 1965, les mercenaires avaient eu un mouvement d'humeur et avaient décroché vers Bumba, ils étaient revenus dans l'après-midi.

Cette désertion courte et temporaire nous avait obligés à un déplacement périlleux afin de faire acte de présence dans deux positions tenues par les militaires congolais et de nous désolidariser des états d'âmes de nos compatriotes soldats de fortune.

Vers 17 heures, une estafette congolaise arrive à la maison et me dit :

- “Patron, le lieutenant dit qu'il faut que tu viennes sinon cela va être la guerre avec les mercenaires.”

Je prends ma voiture et arrive au centre commercial désert, mais à l'extrémité, côté Aketi, tous les militaires congolais étaient couchés dans les fossés, derrière leurs abris, à plat ventre, l'arme au poing.

Il me font un petit signe amical, ce qui me rassure, et je passe.

A l'autre bout, à environ 300 mètres, les mercenaires avaient mis une mitrailleuse .50 et deux mitrailleuses .30 en batterie; eux aussi étaient protégés et l'arme au poing.

Entre les deux, au milieu de la rue, le lieutenant congolais et le responsable des mercenaires, le lieutenant "Marceau".

Un silence angoissant, chacun attendait.

Le "lieutenant" "Marceau" était un ancien sous-officier de l'armée belge à Usumbura qui avait quitté l'armée pour je ne sais quelle raison et s'était engagé comme mercenaire.

Le lieutenant congolais était un homme breveté d'une académie militaire aux U.S.A. et qui avait eu une formation de "marine", il était très estimable et avait une haute conception de ses responsabilités.

J'arrête ma voiture sur le bas-côté, je repère discrètement un caniveau pour y plonger en cas de pépin et le dialogue commence:

 

- “Bonjour Messieurs, que se passe-t-il ?”

Marceau : -“Ces macaques ont volé des lampes et des tubes néon dans nos chambres.”

Le Lieutenant (d'un calme imperturbable): - “Ce sont des déserteurs, ils sont partis

sans même nous prévenir en abandonnant leurs positions, en emportant les armes lourdes, cela est du ressort du Conseil de Guerre.”

Marceau : - “Nos problèmes ne regardent pas ces singes, qu'ils retournent dans leurs

arbres et nous foutent la paix.”

Bref, le ton était donné, d'un côté un vrai militaire conscient de ses responsabilités, de l'autre un homme avec des réactions épidermiques; un seul point positif, ils avaient fait appel à mes bons services pour apaiser la querelle.

Je prends la parole:

- “Messieurs êtes-vous bien certains de ce que vous faites ? Nous sommes dans une situation explosive, si jamais un seul des 200 hommes ici présents perd son sang-froid, si jamais un seul coup de feu est tiré, ce sera un carnage incroyable dont les premières victimes seront nous trois qui sommes au milieu du jeu de quilles. Vous! Vous ! Et moi !

Pensez à vos responsabilités, vos hommes, les villageois, la plantation, le gouvernement qui vous paie, tout cela risque de faire énormément de dégâts pour quelques malheureuses ampoules électriques ! Mais, je rêve ! !

Ceux qui vont se frotter les mains ce sont les rebelles qui sont encore dans les environs. Que la bagarre ait lieu, et ce soir ils sont ici et le front recule de cent kilomètres.

Pensez-y.”

La discussion a encore duré une bonne heure, finalement, j'ai réussi à ce que "Marceau" exprime un quelconque regret pour ses mots inappropriés (c'est un euphémisme), ils se sont serré la main, l'histoire pouvait s'oublier, l'affaire était close.

Heureusement ils ne voulaient pas vraiment se battre.

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