Trente et quarante
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Qu’il me baise des baisers de sa bouche !
Car ton amour est meilleur que le vin .
Cantique des cantiques
... il goûte l’ensemble des objets du désir
concentrés dans l’intervalle d’un seul instant.
Shankara
Enfin seuls !
Ils ont décidés de vivre ensemble, d’unir leurs destinées, ils sont heureux, pleins d’espérance, de projets, d’amour.
Avec ou sans les grandes orgues, peu importe, les délices seront certainement plurielles, mais l’amour sera unique, partagé et éternel.
Savent-ils que la vie leur réserve non seulement quelques surprises, bonnes ou mauvaises, mais aussi de périodes fastes et d’autres nettement moins brillantes.
La vie en commun, en couple, à deux, est aussi cyclique et l’on dit... que ce cycle est de sept ans.
Ce n’est pas nécessairement vrai, mais le nombre sept est assez symbolique et donne, dans le cas présent, une idée de cycle.
Pour certains couples la remise en question ne se posera pas tandis que pour d’autres, elle sera permanente.
Le fait de ne pas être légalement marié, de vivre ce que l’on appelait et que l’on appelle toujours « en concubinage » quoique le nom ne soit plus guère à la mode et ait perdu de son sens péjoratif qu’il avait du temps de nos grands parents, générait, pour certains dont c’était le cas une obligation de se remettre perpétuellement en question sous peine d’une séparation qui n’était pas juridiquement contraignante.
Nous garderons donc le symbole sept, comme les péchés capitaux, les nains, les merveilles du monde antique et les piliers de la sagesse.
Septième année - Le temps de la raison
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Après sept ans de cohabitation, les flammes de la passion, de la découverte l’un de l’autre se sont calmées, on est plus lucide, on voit les qualités et plus facilement encore les défauts de celle ou de celui avec laquelle ou lequel on avait espéré, convaincu, décidé de partager sa vie.
Ces flammes, ont laissé la place à un feu, celui de la réflexion, de la construction du futur, on s’assagit, on est plus lucide et celui qui dirait le contraire, qui penserait « qu ’on s’aime comme au premier jour », manquerait à mes yeux de maturité.
On peut certainement s’aimer « autant » qu’au premier jour, peut être plus mais certainement pas de la même manière, pas « comme » au premier jour.
L’amour est toujours présent, parfois encore violent, impératif, l’attrait l’un pour l’autre aussi, si la découverte physique est faite, l’évolution psychologique et son paysage continue et continuera toute la vie.
C’est dans un autre registre que l’on joue, c’est dans un contexte différent que l’on se pose des questions.
Sept ans de vie commune est un tournant important et la question est: vais-je continuer, ai-je envie, puis-je continuer à mener la vie que je mène actuellement ?
Le feu, l’énergie est toujours là, mais les flammes se sont apaisées.
On se fixe alors des objectifs, matériels souvent, des buts à atteindre en commun et en fonction des éventuels enfants nés et peut-être à venir.
Quatorzième année - Le temps de la réflexion
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Après quatorze ans de vie en commun, vient la seconde remise en question; le feu s’est calmé, il reste les braises, qui peuvent être ravivées, encore pleines de vitalité, dangereuses car les décisions prises à l’étape de la septième années, les objectifs communs sont ou ne sont pas atteints.
Date cruciale, les tentations extérieures ont été repoussées ou acceptées, la maturité du couple est présente, engagée, on pense à la vieillesse et on se pause la question... Vais-je terminer ma vie, vieillir dans de telles conditions ?
L’habitude est un élément en faveur de la continuité, l’amour physique peut-être moins, l’affection réciproque certainement, le « raz le bol » ou parfois, une sensation d’être enfermé dans une impasse peut avoir une influence.
C’est la seconde étape des grandes décisions.
Dans notre monde moderne, depuis le milieu du siècle dernier, depuis ce que j’appellerais la plus grande révolution du XX ème siècle, lorsque par la grâce de la médecine, de la pharmacopée et de la législation, la femme a la possibilité si pas d’être maîtresse de sa maternité, d’être en tous cas maîtresse de sa non maternité.
Un pas important a été franchi, la femme peut choisir non seulement le père biologique de ses enfants mais aussi l’époque de leur naissance, elle ne doit plus subir les aléas de la procréation en fonction des ardeurs de son époux légitime.
La femme... et l’homme sont donc libres et c’est une bonne chose.
Pensons à ce que nos aïeux ont soufferts lorsque le mariage était souvent convenu si pas imposé et en tous cas, de facto, une condamnation à perpétuité; quand on disait « oui » devant le bourgmestre ou pire encore devant le curé, c’était irrémédiable, c’était pour la vie.
Dire que vous pouvez aimer
une personne toute votre vie,
c’est comme si vous prétendiez
qu’une bougie continuera à
brûler aussi longtemps que vous vivrez.
Louis Tolstoï
Quelle aberration ! Quel énorme abus !
Si on peut s’engager à faire quelque chose demain ou dans quinze jours, comment peut-on être certain « a vie » de ses sentiments; comment être certain ou certaine lorsque l’on dit : Je jure de t‘aimer et de te rester fidèle jusqu‘à ce que la mort nous sépare .
La femme était soumise à son époux qui était chef de famille et avait de ce fait autorité sur son épouse et ses enfants... il faut passer la méditerranée pour retrouver semblables idées en 2006.
Quoiqu’il en soit, cette profonde modification de nos moeurs (occidentales) et cette remise en question quasi permanente nous oblige à faire des efforts afin de garder son conjoint ou sa conjointe à ses côtés si l’on y tient.
Perpétuellement il faut faire des concessions réciproques, des efforts pour contenter l’un et l’autre, garder le dialogue ouvert, trouver des consensus, renoncer à certaines choses, à certaines habitudes ou risquer une séparation.
C’est le stade où l’expérience, le lien qui unit les deux conjoints a créé un sentiment de compréhension réciproque, de complicité dans les réactions, les opinions, les actes et les décisions.
Que de couples n’ont pas besoin de se parler, d’échanger leurs idées lors d’une conversation avec des amis, les idées de l’un sont émises par la bouche de l’autre même parfois et souvent sans que le sujet ait été évoqué en famille précédemment.
Ils se connaissent tout simplement et ont épousés les mêmes points de vue ou en tous cas connaissent l’opinion de l’autre et anticipent les arguments et contre arguments.
Ce n’est pas nécessairement le cas des couples idéaux, le « ras le bol » dont je parlais plus haut peut très bien exister en même temps que la complicité.
Une amie me disait que ce qui désunit le couple c’est quand l’un veut dominer l’autre qui par lassitude ou souci d’éviter les complications fait semblant de renoncer à sa personnalité.
Quand tel est le cas, la communication ne passe plus et il n’y a rien de pire à vivre que la solitude à deux que cela engendre.
Cet équilibre à rechercher, ce respect réciproque, cette approche de la sensibilité de l’autre, cette orientation commune vers des objectifs communs sont autant de facteurs positifs garants de la pérennité de couple.
Si la situation approche de la rupture, il faut faire comprendre, avec tact, diplomatie, à celle ou à celui qui, partage sa vie que certaines choses doivent changer. Si nécessaire avoir recours à une tierce personne.
Mais il faut aussi penser, qu’il y a pire que les difficultés de vivre à deux, il y a bien pire... c’est de se retrouver seul ou seule.
Certains apprécient la solitude, certains peuvent vivre seuls, souvent égoïstement, mais la vie à deux est une vie équilibrée, intellectuellement enrichissante et physiquement apaisante.
Vingt et unième année - Le temps des bilans
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Il y a l’étape des 21 ans, c’est la plus difficile.
La femme, soupçonne , comprend, sait que son rôle de reproductrice, ce rôle magnifique que la nature lui a donné, celui de prolonger la lignée de l’humanité, celui de donner la vie, d‘assurer la continuité, arrive à son terme, elle le sent dans son corps, elle le voit dans son miroir, son physique change, ses charmes s’altèrent, elle le suspecte dans ses hormones.
Le désir s’il est toujours bien présent ressemble plus à une course vers le drapeau à damier, un sprint qu’elle pressent final.
La question se pose alors pour elle: suis-je toujours désirable ? Vais-je pouvoir continuer tenir ma place dans le coeur de celui qui partage ma vie ?
Les conditions s’inversent, adulée, flattée, louangée, magnifiée, complimentée, désirée, courtisée dans sa jeunesse, la concurrence de ses vingt ans est encore plus dure, plus présente, plus forte, plus intense dans la quarantaine.
En regardant la nature autour d’elle, Elle, la femelle, qui est le pivot autour duquel gravite tout ce qui vit, est assaillie par un doute: dans le monde végétal, dans le monde animal, ce qui a cessé d’être fertile a terminé sa vie; qu’en est-il du genre humain ?
Il n’y a point de vieilles femmes.
Toutes, à tout âge, si elle aime et si elle est bonne,
donne à l’homme, le moment de l’infini.
Michelet
De nos jours, la femme de quarante ans n’est plus une « veille femme », elle est dans la force de l’âge, son rôle de reproductrice approche de sa fin mais elle a encore tant de choses à faire, elle a encore une telle potentialité !
Les choses ont évolué en un siècle et l’on ne peut plus considérer la femme comme seulement créée pour porter des enfants; elle a acquis une position au sein de la communauté qui lui donne une grande responsabilité sociale enrichissante pour elle-même et pour son entourage.
En ce qui concerne l’homme, cela est très différent.
Il est généralement dans sa pleine force physique et intellectuelle, au sommet de sa réussite professionnelle, il sait qu’il peut faire plus mais il a déjà eu quelques doutes sur ses capacités dans le cadre des relations avec les dames... quelques pannes sans réelles conséquences, parce que ses partenaires, en général sont compréhensives et qu’elles se sentent parfois un peu trop exigeantes.
Et si ils ont quelques inquiétudes, ils trouvent tout naturellement auprès de leur compagne, si elle possède tant soit peu cette grande qualité qu’est la sensibilité féminine, l’apaisement, les paroles qu’il désire entendre.
Mais ils sont toujours en phase ascendante, souvent optimistes pour l’avenir, c’est pour eux un moment de décisions.
Dans les milieux professionnels actifs, ambitieux, on dit quelquefois que entre quarante et quarante cinq ans, un homme change de profession, de pays et de femme.
On passe souvent de l’amour à l’ambition,
mais on ne revient guère de l ‘ambition à l’amour.
La Rochefoucauld
C’est l’étape de tous les dangers, les braises peuvent être totalement consumées et il ne reste alors plus que des cendres inertes, froides, c’est le cas d’un pourcentage, un faible pourcentage, mais déjà trop élevé, de couples. Beaucoup d’unions, la majorité, résistent à cette épreuve car il s’est crée depuis plus de deux décennies de profonds liens affectifs, bien au delà de l’amour physique des premières années, des liens crées par des souvenirs, des épreuves passées ensemble, des moments de joie ou de tristesse surmontés, des drames vécus et partagés, de solution trouvées en commun à des problèmes épineux, de confiance, de compréhension mutuelle, de complicité; des liens complexes mais profonds et solides qui font que le couple résiste et se renforce d’années en années. Les feux de la jeunesse, de l’expérience, des tentations, même si celles-ci existent toujours mais ont relativement moins d‘importance, font partie du passé; un sentiment différent s’installe resserre les liens. Une question se pose alors: est-ce que j’aime toujours mon conjoint ? Question sans réponse parce que personne ne nous a expliqué le mot « amour », sentiment dont la définition, nous l’avons vu, évolue dans le temps. Nettement engagé dans ma septième décennie, je ne saurais répondre à la question : est-ce que j’aime toujours mon épouse ? Je sais seulement que je tiens à elle plus qu’à tout au monde, ne m’en demandez pas plus mais cela est suffisant pour mon bonheur. A notre époque, l’espérance de vie d’une femme est de 83 ans, celle d’un homme est de 78 ans. Les femmes sont de santé fragile toute leur vie, mais vivent plus longtemps que leurs conjoints. Les hommes souvent, sont comme les vieux chênes, ils ne sont jamais malades puis ils s’écroulent brusquement foudroyés. L’homme épouse de préférence une femme cinq ans plus jeune que lui, il épouse donc sa veuve qui risque de le rester 10 ans. L’homme sait difficilement vivre seul, il a besoin d’être encadré , il a besoin qu’on le soigne, qu’on résolve pour lui les problèmes domestiques, qu’on le serve. Il reste rarement seul, d’autant plus qu’à partir de la soixantaine il y a nettement plus de dames disponibles que de messieurs. La femme, par contre, peut plus facilement s’organiser en solitaire, il est plus facile pour elle, quoique avec tristesse quand même de vivre seule.
Tout ceci est naturellement une vue personnelle, masculine, septuagénaire des choses, elle n’est pas nécessairement totalement et universellement exacte. Je n’ écris pas cela pour décourager les jeunes amoureux, pour briser les espoirs naissants mais pour expliquer, faire comprendre que la vie en couple, malgré certaines apparences est loin d’être un fleuve tranquille, c’est une lutte de tous les jours, des problèmes à résoudre en continu, des doutes perpétuels. La pérennité du couple est une éternelle remise en question. Rien d’exceptionnel en aucun cas, cela fait partie du jeu, cela est la vie. Chacun doit rester serein, voir les choses en face dans le contexte du jour et dans l’optique du futur, dans l‘espérance en l’avenir et dans le respect de l‘autre. Le mariage, la vie à deux est une loterie, dit-on, mais il y a moyen de trafiquer les chiffres, de faire apparaître des numéros gagnants un peu plus souvent que la moyenne par une bonne volonté réciproque, un doigt de diplomatie et beaucoup, beaucoup de compréhensions mutuelle, des concessions, de la patience... et un profond sentiment que l’on appelle de l’amour. E.A.Christiane 23.04.2006